Puisque l'écriture est mon médium artistique favori, j'ai conçu ce blog pour partager mes réflexions et expériences car tout, chez moi, est "hyper" : l'activité cérébrale, les émotions, les sens, la perception, l'empathie, l'intuition... Diagnostiquée TDA(H), puis Asperger et HP à l'aube de mes 50 ans, j'explore ces étiquettes et j'exprime mes découvertes et ressentis..

mercredi 4 décembre 2019

L'adaptation



Dans mon parcours pour trouver un psy versé dans le suivi individuel pour adultes hypersensibles et à l'intelligence à haut potentiel, comme on dit, je viens de buter sur une expérience intéressante.

J'avais déjà, deux ans auparavant, consulté ce psychologue, mais c'était dans le cadre de la fibromyalgie (résultant d'une vie d'hypersensibilité inhibée), dans un centre de la douleur chronique. Il me semblait avoir trouvé alors un excellent interlocuteur.

Cette fois-ci, j'ai senti tout de suite que quelque chose avait changé.

C'est le désavantage des patients hyper empathiques et intuitifs : ils "lisent" le thérapeute, détecte ainsi leurs incohérences. C'est pourquoi établir une relation thérapeutique sur un pied d'égalité est très important pour eux. Il ne s'agit, après tout, que de deux humains avec chacun des bagages de toutes sortes, mais à des endroits différents de leur vie et avec des formations et des rôles différents.

Bref, je percevais de la lassitude et de la contrariété sans pouvoir en définir l'origine (vie personnelle ou professionnelle ?) et aucune empathie.
Il démontra une attitude dédaigneuse dès l'abord pour le sujet que j'amenais sur la table, et j'ai quasiment passé 45 minutes à me justifier, entre ses coups d’œil vers sa montre (véridique !)

En conclusion de notre échange, il m'a carrément dit : "Adaptez-vous ou accepter votre souffrance, l'exclusion sociale et la précarité ! C'est comme ça que ça marche dans la nature aussi..."

Cette déclaration est non seulement fausse, mais perverse.

Dans la nature, me rappelle-t-on de temps en temps, les végétaux comme les animaux doivent s'adapter ou mourir. Les individus les moins aptes dans la «lutte pour la survie» sont éliminés, ce qui permet à l'espèce de se perfectionner de génération en génération. Les survivants développent une cuirasse, des épines, un aspect particulier, la faculté de grimper aux arbres, de changer de couleur ou de plonger dans l'eau, etc. pour pouvoir survivre et prospérer dans et avec leur environnement.
Fort de cette comparaison - qui a, doit-on le rappeler, stimulé les arguments de l'eugénisme nazi - on me demande donc de développer des changements en une vie alors que l'évolution donnée en exemple est affaire de mutations  émergeant au cours de plusieurs générations au sein d'une espèce.

On peut alors examiner la formidable adaptation de peuplades telles que les bushman africains et les aborigènes d'Australie depuis le paléolithique, face aux changements climatiques ayant affecté la faune et la flore de leur milieu de vie, puis observer leur difficulté d'adaptation à la civilisation occidentale suite à la colonisation.

S'adapter à un milieu naturel fait partie des aptitudes naturelles, c'est intuitif (ou instinctif). C'est une évolution qui porte sur plusieurs générations et concerne l'entièreté d'une espèce. Par contre, s'adapter à un milieu artificiel tel que la civilisation occidentale industrialisée est un processus tout autant artificiel et contre-intuitif, portant sur quelques années (le plus vite possible après la colonisation, ou la naissance) et au niveau individuel.
Il s'agit d'ailleurs plus de soumission, voire de domestication, que d'adaptation. Et aucun être vivant n'est fait pour la domestication (d'où l'apparition de maladies, troubles, désensibilisation et perversions).
Nous, nous sommes nés dedans et on nous domestique dès l'enfance. Mais même alors, nombre d'entre nous souffrons de cette domestication et nous "adaptons" difficilement, ou jamais.

Il est donc pervers de demander à un individu en souffrance de s'adapter immédiatement ou d'accepter son exclusion ou la précarité (d'autant plus que tout accès à l'autonomie fut "privatisé", monnayé et réservé, comme tout le reste...) !

J'ai vécu en Arizona, dans des réserves Navajo et Apache. On y rencontre le même problème d'adaptation que partout ailleurs dans l'ancien empire britannique ou autres colonisations, avec son lot de maladie, de pauvreté, d'alcoolisme et d'addiction diverse, de violence (agressivité exprimant la violence intérieure). Franchement, cela m'a éclairée quant à ma propre souffrance et quant à la dénaturation qu'implique notre civilisation.
J'ai souvent dit que je me sentais comme un amérindien forcé de vivre parmi les blancs ou un Celte obligé de vivre dans un monde romain.

Cette comparaison entre la sélection naturelle et l'adaptation de l'individu dans la société est donc tout à fait absurde.
L'application du darwinisme social prend bien des formes, jusqu'à se retrouver en  consultation avec un psy.




Et jusqu'à se retrouver dans le développement personnel où l'utilisation de l'admonition de sortir de sa zone confort est extrêmement perverse, quand au lieu d'aider l'individu à éclore (sachant que l'éclosion est un processus naturel et saisonnier), elle sert la plupart du temps à le forcer à "s'adapter" à un milieu scolaire ou corporatif, ou à une démarche/pensée/action typiquement entrepreneuriale, à un moment imposé et dans un délais très court ! 
Le coach où le motivateur déclenche alors une violence incroyable, de loin, qu'il justifie par la nécessité du développement (jumeau de la fameuse croissance impérialiste/capitaliste, fondement de la civilisation occidentale), et dont il se dédouane facilement puisque c'est la personne qui se l'inflige elle-même. Le "succès" impliquera souvent une forte désensibilisation !

Sortir de sa zone confort, dans ce contexte, consiste donc souvent à abandonner derrière soi son essence, et non son enveloppe (mais on vous fait croire le contraire en inversant la signification de toutes sortes de métaphores pittoresques, dont celle du serpent qui mue ou du "Bernard l'ermite").
Conséquemment, les humains qui y parviennent sont souvent "déshumanisés",  car tel est le prix de l’ascension sociale et professionnelle, quand les règles du jeu sont économiques, et ils sont fiers de leur accomplissement, par-dessus le marché ! (sans jeu de mots). Et ce sont eux qu'on encense comme modèles, qui parviennent aux postes de gouvernance, à la haute finance, qui définissent les valeurs et fonctionnements institutionnels.
On n'est pas près de sortir du paradigme actuel...

Je dois donc combattre ma nature vivante sensible pour obtenir le bonheur, ce nouveau Graal civilisationnel, et atteindre la réussite, apanage des bien-adaptés.
Paradoxal, non ?
Surtout si on prend en compte cette phrase de Sénèque, qui figure dans le premier chapitre de mon roman "Résilience" : "Le bonheur, c'est de vivre en accord avec sa propre nature".

On peut discuter du concept de "nature humaine", et je vous conseille à ce sujet les ouvrages de l'anthropologue Marshall Salhins, il n'empêche que notre nature profonde (notre essence) et la Nature (l'organisation spontanée de la vie terrestre) sont composé des mêmes éléments et s'accordent parfaitement - c'est fait pour - tandis que notre nature profonde (notre essence) est "naturellement" réfractaire au fonctionnement institutionnels et à l'industrie, tout comme l'est la Nature ! Doivent être mis en place, dans l'éducation (ou la domestication : fait de rendre utilisable), une désensibilisation et dénaturation préalable. 
L'intelligence dominante est, évidemment, la plus apte à endurer ce processus ! 
Le darwinisme appliqué...

Par ailleurs, quand on suggère à un enfant de s'adapter à l'école ou à un adulte de s'adapter à la société sous peine d'exclusion et de précarité (le sort des inadaptés...), il n'est même pas question de combattre une mauvaise habitude, une dépendance ou un vice. Ce n'est pas comme si on devait cesser de procrastiner, de mentir, d'arrêter de fumer, de se saouler ou de se droguer, de compulsivement dépenser la paie dans des jeux de hasard, de voler à l'étalage, de mater les enfants à la sortie de l'école avec des sucettes plein les poches ou d'escroquer des clients.
On ne parle pas non plus de s'adapter à des coutumes locales en cas de voyage ou d'expatriation (ou d'immigration, le terme approprié dépendra du fait que vous ayez le choix et les moyens ou pas).

Non, s'adapter, dans ce cas précis, implique bien une domestication, soit de combattre tout ce que votre intuition vous indique comme étant sain, de votre neurobiologie jusqu'à ce qui vous compose intrinsèquement, ce qui vous définit hors culture, votre identité intime, votre essence, afin de fonctionner dans la partie de  Monopoly en cours sans avoir le choix de ne PAS jouer. 

Plus jeune, je m'y soumettais, à cette lutte contre ma nature et la nature.
À présent, après qu'elle m'ait épuisée et usée, je n'en veux plus.

Par contre, je ne suis pas réfractaire aux compromis inscrits dans une éducation visant à vivre ensemble, une éducation pour et par la conscience
Mais pour que j'y consente pleinement, les lois et fonctionnement auxquels je me plie doivent être :
  1. Légitimes ! C'est à dire qu'ils servent à l'ensemble du vivant.
  2. Réciproques ! Une démarche active de part et d'autre afin de promouvoir et d'harmoniser la diversité et non une soumission chimique et/ou "thérapeutique", une régulation des uns pour la pérennité d'une majorité normalisée.
  3. Respectueuse ! Sans mépris, condescendance ni jugement. Horizontale, quoi, et non plus verticale.
Cette adaptation perverse m'a ramenée à la problématique de l'orientation sexuelle parce que c'est exactement ce qu'on réclamait des homosexuels il y a encore 50 ans (et qu'on leur réclame encore dans de nombreux endroits du monde, pas si loin de chez nous) : puisque l'homosexualité n'est pas compatible avec les valeurs et les mœurs de la société, ne soyez pas homosexuels, tout simplement. Ou alors, acceptez l’oppression, le rejet, la thérapie de conversion, la castration chimique, voire la prison.

Or, l'homosexualité n'est pas un choix, on le sait aujourd'hui. C'est comme naître gaucher ou droitier. L'homosexualité n'existe même pas, en fait. La sexualité n'est pas cette pulsion ponctuelle servant, pour les uns, à la reproduction, pour les autres, au plaisir, ou pour quelques uns, à l'union sentimentale. La sexualité fait partie intégrale de l'être dans toutes ses dimensions et expressions, elle est ouverte, complexe, fluide, variable... Ce fut le cas de tout temps et partout dans le monde vivant.

N'en est-il pas de même pour les intelligences divergeant de l'unique qui règne et décide de tout ? Une intelligence pervertie par la civilisation qu'elle a créée, une intelligence économique déjà quasiment artificielle (n'ayant plus rien avoir avec le vivant et le sensible), donc purement fonctionnelle, factice et superficielle, vorace, matérialiste, réductionniste, égotique, etc. 

Nous sommes sur une planète qui, de toute la galaxie, est la seule à favoriser la vie dans toute sa magnificence, en pleine diversité, de manière écosystémique spontanée. C'est un miracle rare, dans l'univers. La prérogative est donc LE VIVANT !
La civilisation ne devrai-elle pas s'adapter à la vie ? Au lieu de quoi, nous n'avons de cesse de réduire la vie aux besoins de la civilisation.  

Un jardin est un lieu ou la nature est domestiquée !
Comme notre société.

Et si l'on veut jouer dans la cour de l'évolution... Qu'est-ce qui nous dit que les TDAH, HP, Aspies, hypersensibles, et autres intelligences atypiques catégorisées comme des dysfonctionnements ou des troubles ne sont pas des traits d'évolution ?
Et si la civilisation occidentale, en décrétant qu'un seul fonctionnement cognitif  était valable, obligeant tous les autres à s'adapter à sa structure artificielle, freinait l'évolution naturelle de l'être humain ? Conséquemment, elle enraye les possibilités d'adaptation de l'humanité au milieu vivant, et est constamment obligée de pousser ses technologies pour compenser la dégradation de ce milieu, enclenchant alors un cercles des plus morbides et vicieux ? Hmmmm ? 


L'image ci-dessus m'a amusée parce qu'elle exprime très bien le rapport entre le pouvoir (à tous les niveaux : monothéisme, pensée unique, management et autres gouvernances, pouvoir centralisé, neurobiologie dominante, système hiérarchique, etc.) et sa peur de la diversité ou de la divergence qui pourrait le détrôner.
Ou de l'évolution... 

Je trouve que la psychologie générale collabore en grande partie au maintient de ce rapport de domination par la pathologisation des intelligences hors normes et par la responsabilisation dans l'impuissance. Heureusement que la science neurologique vient peu à peu renverser la vapeur... quand elle n'est pas instrumentalisée ou asservie, ce qui en ralentit la progression, puisqu'elle dépend des moyens et des budgets alloués, des directions imposées aux recherches, et du lexique utilisé (voir article "Le lexique par lequel on nous définit" ICI).

Donc, dois-je "m'adapter" ou, au contraire, réclamer le droit de vivre dans le respect de ma propre nature, militer pour l'adaptation de la structure à la diversité des intelligences et non l'inverse ?

Il faudrait pour cela que les personnes aux intelligences pour l'instant pathologisées et les parents d'enfants concernés s'unissent dans cette même optique pour forcer les institutions, surtout celles du système éducatif, mais aussi dans les domaines professionnels, à se fluidifier.
À redevenir écologique, en toute diversité, au lieu d’œuvrer pour un seul point de mire : l'économie !
Car c'est à ça que sert l'école, non ? Assurer la pérennité des rouages économiques ?
 
Il faudrait aussi que les professionnels de la santé mentale, médecins, thérapeutes, scientifiques, éducateurs de tous poils, s'impliquent dans cet objectif.

Utopie ?

Je vous laisse y réfléchir.
En attendant, partagez cet article, ça peut toujours servir la cause ^^


FLB













mardi 19 novembre 2019

Barbares et sauvages

"Etre libre ce n'est pas seulement se débarrasser de ses chaînes ; c'est vivre d'une façon qui respecte et renforce la liberté des autres. La véritable épreuve pour notre attachement à la liberté vient de commencer." - Nelson Mandela


En attendant, on trouve encore des livres qui disent vouloir aider les parents a garder leurs enfants calmes et attentifs, et présentant "50 fiches CONTRE l'hyperactivité et le TDAH". 

CONTRE !
Le choix des mots...

Où comment aller CONTRE la nature de votre enfant. 
Contre la nature...
Les gens qui connaissent et respectent le moins la nature aiment l'utiliser comme argument pour forcer leur normalité : "c'est contre-nature", tout en s'opposant à elle de toute leur volonté.

Domestiquez-les convenablement, vos enfants ! Qu'ils demeurent calmes et attentifs, tous sans exception, prêts au gavage, immobiles sur leur banc d'école. 

Notre civilisation adepte de l'uniformisation a toujours horreur des "barbares" et des "sauvages". Elle les a systématiquement colonisés, dévalorisés, diffamés, pour installer sa supériorité, et s'ils résistaient, ne se rendaient pas exploitables, elle les exterminait.
Quand ils naissaient en son sein, elle les traitait de cancres, les éjectait, les cassait dans la pauvreté, en faisait de la chair à canon ou de la main d'oeuvre. 
Aujourd'hui, elle leur liste leurs déficiences, elle les pathologise et les drogue.

On m'a un jour fait remarquer l'analogie avec les chevaux, étant donné que j'ai travaillé longtemps dans le milieu équestre.
"Si tu avais dans ton écurie un cheval intraitable (ce qui le rendrait dangereux, vu la taille et les "armes" d'un cheval : sabots, puissance, dents...), tu ne lui donnerais pas un calmant, ne fût-ce que pour pouvoir lui prodiguer les soins élémentaires du maréchal-ferrant ou du vétérinaire ?"
Oui mais attendez, là... On parle bien de domestication, n'est-ce pas ? Parce que dans l'idéal, un cheval intraitable, je le remets en liberté avec ses semblables sauvages. D'accord, la vie sauvage nous apparaît comme cruelle, mais on oublie l'incroyable violence que la domestication inflige à la nature, à l'instinct, à l'individualité des êtres vivants réduits à l'utilisation (ou à l'emploi) !
Au sinon, puisqu'il n'y a plus de troupeau de chevaux sauvages, je laisserais cet animal vivre autant que possible selon ses inclinations, mais puisque je l'ai privé, par la domestication, de tout accès à l'autonomie, c'est à moi d'assumer les soins et l'apport alimentaire tout en respectant son désir d'indépendance.
Il n'est pas dans mes écuries par choix, faut-il le rappeler !
De même, notre société devrait élargir ses systèmes de manière à rendre l'autonomie à ceux dont la nature, l'inclination et l'intelligence réclame un autre fonctionnement.
Plus d'autonomie et de largesses dans la pédagogie, dans les horaires, dans la chronologie de l'apprentissage, dans la vie de tous les jours, dans l'accès aux professions artistiques, artisanales, scientifiques et indépendantes, etc.
Remplacer les profs par des guides et des mentors, des adultes qui savent ce que c'est que d'être "sauvage" et qui enseignent par l'exemple, par la présence, par la conscience, l'équilibre entre l'individu et le collectif.

Ainsi que le proposent maintes écoles à la pédagogie alternative ! Rendre ces écoles accessibles, et diversifier les types d'écoles et de pédagogies, sans pour autant que cela nuise à l'accès au monde professionnel (qui doit, lui aussi, s'élargir, du coup), quel rêve magnifique !!



Résultat de recherche d'images pour "sauvage et libre"
[Source de l'image : https://www.youtube.com/watch?v=LqgVf2APQqQ]
Car c'est cette même violence de domestication qui est infligée aux "sauvages" et "barbares" de nos salles de classe, ou de nos écuries de poulains destinés à l'emploi.

L'emploi ! Je ne me suis toujours demandée pourquoi ce terme associé au vivant de choquait personne...

Tant qu'on ne créera pas une société qui permet aux individus de cohabiter et de "fonctionner" ensemble dans le respect des diversités de natures, d'inclinations, de genres et d'intelligences, notre société ne sera rien d'autre qu'une entreprise d'exploitation intensive, et nous ne seront rien d'autres que des outils.  

Quand, l'année dernière, j'ai repris des études, un régendat en français, dans un élan masochiste, sans doute, mais aussi pour voir l'école sous un autre angle, j'ai dû faire des stages dans un collège.

Dans ses classes de première secondaire, la prof de français - un cours majeur et déterminant - adoptait un comportement volontairement méprisant, rabaissant, envers les enfants présentant une intelligence alternative : HP, TDAH (mais qui sont souvent HP aussi), les timides, les distraits, les artistes, les sensibles...
Elle les "cassait".
Et insistait auprès des parents que ce collège n'était pas un endroit pour leur enfant. Elle les poussait dehors à coups de petites humiliations répétées, de mauvaises notes, de mots dans le journal de classe, de punitions ("copiez 100 fois la page 65 du Bescherelle". Véridique !)
Elle écrémait ainsi ses classes de premières.
Et personne ne trouvait ça abjecte.

Ce n'est pas un comportement isolé !
Mon fils "dys" en a fait les frais en première primaire, dans un autre collège.

De fait, lorsque j'ai observé et puis donné cours dans ses classes de deuxième, donc la crème, j'avais devant moi des jeunes sans plus aucune étincelle d'intelligence créative.
Éteints.
Dociles.
Calmes et attentifs.

Ah, pour ça, c'était bien plus facile de donner cours à une classe de 25 ados calmes et attentifs, obsédés par les points sur le bulletin, qu'à une classe de 25 ados aux intelligences aussi diverses qu'il y a de personnalités !

Qu'on réduise le nombre d'élèves par classe !
Et qu'on diversifie cette foutue pédagogie !!

Mais il y a pénurie de profs, vous répondra-t-on.
Alors là, c'est un comble, parce que j'ai passé une année entière en haute école, et s'il y a une chose dont je peux témoigner, c'est que la formation des profs est élaborée pour et par un seul type d'intelligence, celle qui règne en maître et ne supporte pas de concurrence.
Les hypersensibles, les HP, les TDAH et autres atypiques ne peuvent pas endurer longtemps ce type de formation en apparence pleine de bonne volonté mais prise dans la rigidité institutionnelle réfractaire à toute évolution. 
Oh, j'ai eu des profs vraiment supers quoique eux aussi un peu résignés par la force des choses. Face à ce Goliath institutionnel, les quelques David encore motivés sont rares.
Conséquemment, nous étions 33 en septembre et 12 en juin.

Et dans ces 12, quelques uns s'accrochent encore parce qu'il le faut bien, désenchantés et dégoûtés qu'ils sont. Ils se fabriquent eux-mêmes les œillères pour tenir le coup. Ils se désensibilisent et se dénature (on appelle ça de l'adaptation. Voir l'article ICI). Ils ont besoin du diplôme et espère un boulot qui donne un brin de sens à leur vie.
Les bonnes intentions de l'institution éducative, c'est du flan !
Avant de lancer des décrets à tort et à travers pour réviser l'école, c'est la formation des profs qui doit être réformée. Il faut remodeler les cours et les stages, balayer les incohérences et l'hypocrisie. C'est là qu'il faut d'abord réinstaurer la diversité !

Parce que les jeunes qui sortent diplômés des hautes écoles sont ceux qui ont pu endurer le formatage, souvent parce qu'ils sont d'une intelligence similaire à l'intelligence régnante, pour la majorité, et ils ne voient pas du tout où est le problème, ou, pour une minorité, qu'ils se sont abîmés pour tenir le coup. L'écrémage commence là ! 
Conséquemment, il n'y a pas assez de profs, d’une part, et il y en a très peu qui sont prêts à militer pour apporter à l'école un changement assez profond vers le respect de l'enfant, de l'humain. D'autant plus qu'il est difficile de faire évoluer l'école sans qu'évolue, en parallèle, la société ! 
L'emploi, le consumérisme, le travail, les familles... tout ça.
La tâche semble titanesque !

Notre société n'est jamais sortie du colonialisme. Elle persiste à dominer les personnalités et les intelligences "barbares" et "sauvages", les esprits libres, naturellement anarchistes, ceux qui veulent bouger plus vite, sont qui sont naturels, qui ressentent plus intensément, qui désirent penser autrement, apprendre autrement, comprendre autrement, vivre autrement, qui bousculent et menacent d'éclater les carcans.

"Mais mâtez ces gosses, à la fin !" entendra-t-on encore longtemps, hélas.



FLB

mercredi 13 novembre 2019

Le lexique par lequel on nous définit




Depuis qu'on m'a affublée de cet acronyme TDAH + HP pour expliquer mes épuisements et dépressions chroniques, je me suis penchée sur les sites, les brochures et les groupes Facebook dont l'objectif est de sensibiliser la population, les parents, les éducateurs, les assistants sociaux, etc.

Vous savez ce que ça fait de se voir décrit uniquement en termes de déficit, de trouble, de difficultés neurobiologiques, de faiblesse, et de voir lister en conséquences de mes spécificités atypiques les catastrophes et échecs sociaux, professionnels et personnels qui m'attendent ou que j'ai traversés ?

Encore récemment, dans un article scientifique, on parle "des altérations du cerveau qui perturbent les processus cognitifs, mais aussi des anomalies qui provoquent des carences de motivation"... J'vous jure  
Les Scientifiques s'obstinent à vouloir que tous les cerveaux humains soient identiques et conformes à un seul processus cognitif que, je ne sais selon quel critère uniquement valable pour les codes restreints de la civilisation occidentale, ils estiment idéal, sans doute, allez savoir ! Et tout ce qui diverge n'est plus que dysfonctionnements ou troubles ou perturbations. Ça commence à m’énerver un brin, cet espèce de totalitarisme uniformisateur qui transforme la diversité en une déclinaison de pathologies.
Carences de motivations ? Tu parles !
Personnellement, je ne trouve pas grand chose de motivant à la vie moderne. Est-ce vraiment la faute de mon cerveau ?

En tant qu'adultes TDAH, on nous décrit sans cesse comme des dysfonctionnels congénitaux pour lesquels le bonheur et la fameuse réussite (selon des définitions bien spécifiques de ces notions) sont inaccessibles sans un traitement  thérapeutique et/ou médicamenteux.
On nous évalue en coût pour la société et pour l'éducation. Les statistiques nous inscrivent dans les basses classes sociales, instables et incapables que nous sommes de générer puis de gérer le fric.
D'un autre côté, existe-il pour nous un autre débouché ? Une forme d'autonomie qui nous permettrait de vivre dignement en toute créativité et selon notre esprit dénué d'ambition professionnelle ou sociale typique, de ce besoin de rendement?
NON.
Parfois, je me dis que les TDAH sont les résurgences d'une civilisation plus ancienne... Ou bien la marque d'une évolution qu'on s'efforce d'endiguer pour assurer la pérennité du système en place. 
Ou les deux.

En tant qu'enfant... J'imagine, non, JE SAIS, ce que ressentent ces enfants dont la personnalité, l'esprit à tendance anarchique, la sensibilité et l'intelligence subissent des attaques incessantes de la part des adultes. Les parents sont épuisés et débordés, en questionnement parental et en burnout par la faute de ces enfants infernaux et incompréhensibles. Les instituteurs doivent exercer des efforts considérables et éreintants pour gérer ces élèves et certains ne retiennent pas de le dire tout haut.
Ces gosses se coltinent, en plus de l'école, des devoirs et des activités extrascolaires où il faut AUSSI des résultats satisfaisants, des consultations chez une flopée de professionnels, pédopsychiatres, logopèdes, etc. pour bien démontrer qu'ils ont un problèmes à soigner.
Les médicaments doivent être testés jusqu'à ce qu'on trouve le dosage qui les rendront dociles, et bonjour les effets secondaires ! Tant pis s'ils ont l'impression de ne pas être eux-mêmes tant que dure l'action des médocs puisqu'ils ne font plus de vagues et qu'ils ont de meilleurs résultats scolaires (ce qui les rend plus heureux, il faut l'avouer, moins anxieux puisque les adultes autour d'eux sont satisfaits).

Ah, oui, parce que leur identité, leur valeur sociale et leur avenir dépend de leurs résultats scolaires.

L'impression d'inadéquation, le stress d'inhibition, l'horrible sentiment d'impuissance, et les impacts sur ces être hypersensibles et hyperémotifs des disputes, cris, accusations, déceptions, injustices, horaires serrés, pressions, étiquettes, immobilisation, stigmatisation, provoquent des crises qu'on remet sur le compte de leur instabilité, et le cercle vicieux destructeur d'estime de soi est enclenché. Mais en étant régulés chimiquement, ils ne souffrent plus de leur différence. Ils ne sont plus un problème ni une déception. Ils se sentent à nouveau aimés, acceptés. 
Alors on dit : "Ah, le médoc agit bien. Quelle chance !"
Oui, mais à quel prix ?

Pourtant, savez-vous que les enfants TDAH et/ou HP ont une conscience et sensibilité de soi plus élevée ? Il savent très bien ce qui leur convient ou non et ils réagissent  par le fight-or-flight de manière plus excessive. C'est d'autant plus une question d'auto-préservation qu'ils ressentent très fort la peur d'être abîmés dans leur intégrité physique ou psychique.
Et du coup, c'est certainement ce qui leur arrivera... Puisque peu de structures dans lesquelles ils doivent grandir ne les abîment pas.
Au lieu de mettre en avant cette conscience de soi, d'aider leur entourage à accepter ce besoin de cohérence, de montrer à ces enfants comment se faire respecter avec tact au lieu d'exploser ou de tolérer ce qui leur est toxique - et c'est une capacité dont nombre de personnes pourraient bénéficier - on les dit irritables, agressifs.

Savez-vous que ces enfants ont un sens développé de la justice qui les pousse à apprécier la transparence ? Ils vous disent spontanément ce qu'ils pensent, ce qu'ils ressentent, ce qu'il vivent (sauf une fois conditionnés, évidemment, quand ils ont appris que beaucoup d'adultes autour d'eux sont faux ou n'en ont rien à foutre. Alors ils pratiquent une inhibition qui les mine). Ils ont du mal à comprendre les conventions sociales stoïciennes, les secrets, les tabous, la diplomatie, les codes sociaux plein d'hypocrisie... et la politique. Au lieu de soulever leur franchise et leur ouverture d'esprit, le fait qu'ils ne sont pas calculateurs ni manipulateurs (au début, en tout cas), ni hypocrites ni stratèges, qu'en dit-on ?
Qu'ils sont naifs, impulsifs, irréfléchis, désorganisés.
Rien que des traits négatifs.

Savez-vous que ces enfants sont autodidacte de préférence et ont la faculté d'appréhender plusieurs choses à la fois ? Si l'école organisait plusieurs cours dans la même classe et permettait aux élèves qui le souhaitent de passer de l'un à l'autre à loisir, les TDAH seraient aux anges.
Et les autres élèves, clairement en désavantage !
Et pourtant, parce que l'école est élaborée par et pour un seule type d'intelligence, on leur diagnostique un "trouble du déficit de l'attention". C'est tout de même un comble, non ?

Savez-vous aussi que les dyslexiques ont une vision et une mémoire qui pourraient se révéler être un avantage pour une compréhension alternative des choses ? Imaginez ces enfants dans une civilisation fondée sur la tradition orale. Ils y seraient brillants ! Idem pour les dyscalculiques : leur façon d'appréhender les nombres et les quantités pourraient nous éclairer à bien des niveaux.

Au lieu de quoi, on parle de déficit, de trouble, de dysfonctionnement, de dépression, de dysphorie, de mal-être, de désorganisation, de difficultés neurbiologiques, et j'en passe... Mais si vous demandez à une antilope de se comporter comme une panthère ou à un poulpe de se faire passer pour un poisson rouge, il y aura certainement un mal-être et des difficultés !



Pourquoi les divers organismes et associations de sensibilisation ne promeuvent-ils pas plus l'élargissement des normes institutionnelles et l'adaptation des pédagogies, des structures d'accueil et de vie à la diversité des intelligences, des personnalités, plutôt que les traitements médicamenteux ? 
Pourquoi ne parle-t-on pas de la sensibilité aiguisée, de l'intuition développée, de la fougue, de la spontanéité, de l'authenticité, bref des caractéristiques de ce type de personnalité en termes positifs de capacités, de curiosité, de propension à l'autonomie, d'intelligence globale, et ne met-on pas en avant les avantages de tels processus neurobiologiques ?

Pourquoi ne pas élargir la marge de tolérance envers l'impulsivité, la créativité, la sensibilité ?

« LA MANIÈRE DONT UNE SOCIÉTÉ CONSIDÈRE LE HANDICAP EST UN CHOIX DE CIVILISATION. Il faut d’abord cesser de le considérer comme une exception, de le réduire à quelque chose de pathologique. Il est inclus dans l’ensemble de la société. Et plus encore, il est une clé pour le progrès. Lorsqu’on met en place des systèmes de compensation du handicap, ils servent à tous. Par exemple, faciliter la montée dans un bus simplifie les choses pour tout le monde." 

Ryadh Sallem, triple champion européen de basket fauteuil et champion de rugby-fauteuil,


Que la différence  vise le fonctionnement physique ou intellectuel, c'est le même combat, et les aménagements à l'école ou au boulot pour les personnes hyperactives comme pour les personnes en chaise roulante pourraient bénéficier à tout le monde.



Résultat de recherche d'images pour "atypique"
Le TDAH au boulot ^^

Je dirais aussi que le revenu universel est un projet qui éroderait grandement le mal-être des personnes atypiques car cela leur offrirait une plus grande marge de manoeuvre pour se trouver ou se créer une occupation professionnelle qui leur convient. La pression de l'agenda (il faut savoir marcher à tel âge, savoir parler à tel âge, avoir tel diplôme à tel âge...), de trouver et de garder un emploi - n'importe quel emploi - doublée de la stigmatisation des "non productifs", est aussi toxique que celle d'avoir de bons résultats scolaires alors qui ni l'un, ni l'autre n'est révélateur de l'intelligence et des compétences de la personne.
De plus, cela permettrait aux parents d'enfants atypiques d'avoir une vie bien plus saine, avec moins de tension. 
Moins de mal-être => plus de diversité => plus de productivité => économies à tous les niveaux, y compris la Sécu.

Ah, mais on vendra moins d'antidépresseurs et d’anxiolytiques, et surtout moins de Rilatine et Cie...


Pour en revenir au lexique

"La déficience nous rappelle la fragilité de notre propre enveloppe corporelle. Elle renvoie aussi à notre fantasme d’être parfait, sans défaut, comme si c’était de l’ordre du possible.

La différence nous renvoit à la peur de l’autre, de l’inconnu

L’incapacité n’est jamais qu’une question de valeurs. La société en général voit le handicap avant tout en terme d’incapacité : la personne à mobilité réduite, l’aveugle, le déficient mental etc. S’il est logique de cerner une personne par rapport à des caractéristiques évidentes et importantes, cela réduit non seulement la personne porteuse de déficience à une étiquette étriquée, mais cela n’ouvre pas la voie à la reconnaissance de tant d’autres facultés." 

[https://www.plateformeannoncehandicap.be/professionnel/handicap-societe/le-sens-du-handicap-dans-notre-societe/

Enfin, le trouble vient de la peur - encore - du chaos et du désordre que l'on imagine plus difficiles à exploiter ou à gérer. Ainsi, lorsqu'on jette un pavé dans une mare d'eau plane, ça éclabousse, ça fait remonter la vase, ça fait des vagues et ça dérange.
L'eau devient trouble et imbuvable. On ne voit plus le fond. L'image est parlante, non ?


Et je terminerai avec les mots du Joker, parfaitement adaptables dans le cas des atypiques, bien que je m'indigne contre la notion de maladie mentale : 

"Le pire, quand tu souffres d'une maladie mentale, c'est que les gens s'attendent à ce que tu te comportes comme si ce n'était pas le cas."



FLB








samedi 2 novembre 2019

Enfant de la lune

Un enfance heureuse.... tant qu'on me foutait la paix.



J’ai toujours cru que j’étais folle. Enfin, toujours…. Depuis ma troisième ou quatrième primaire. C’est l’école qui a défini ma différence. 

Avant ça, durant ma petite enfance, tant qu’on me foutait la paix, j’étais heureuse. 

Oui, j’ai une excellente mémoire émotionnelle et sensorielle ; à défaut de me souvenir des noms, des dates et des lieux, je me souviens des ressentis, des sensations. Petite fille ou petit garçon, je ne faisais pas la différence, je folâtrais sans pression ni répression, en pleine découverte, en toute fraîcheur. Cela se voit sur les photos de mon enfance : la béatitude a subsisté jusqu’à ce qu’on me mette en rang dans la cour, jusqu’à ce qu’on me dise de rester assise sur un banc à ingurgiter des données comme une oie en cage au gavage.

Mon visage s’est éteint. 

À l’école, l’identité se forge à coups de bulletin. Ce sont les notes qui décident du présent et de l’avenir. Et de la valeur sociale de l’individu. 

L’impuissance apprise commence là. En tout cas, pour ceux dont le cerveau n’est pas calqué sur les méthodes pondues par les pédagogues des hautes instances éducatives qui s’occupent du formatage des futurs citoyens. Oui, parce que de là-haut, éducation rime avec domestication. C’est toujours comme ça que je l’ai ressenti dans mon enfance. 

Enfance, joie et spontanéité.

J’avais de quoi comparer puisque, passionnée de chevaux depuis toute petite, j’ai très tôt, à chaque congé scolaire et d’un week-end à l’autre, parcouru les centres équestres de ma Wallonie natale. J’ai toujours eu en commun avec les pensionnaires équins, ces êtres magnifiques épris de grands espaces libres, l’obligation de la bride, du mors, et de la soumission à l’exploitant. 

On me disait passionnée par l’équitation et pourtant, monter à cheval dans le contexte des cercles équestres me déchirait le cœur. Tout sonnait faux, dans l’équitation. C’était superficiel. C’était mal. C’était une insulte à l’intelligence des chevaux. 

Malgré tout, le seul accès aux chevaux et au mythe de la liberté qu’ils contenaient passait par le manège et sa galerie d’horreur. 

Différence de valeur basée sur la race, travail répétitif, soumission, méthodologie, traitement défini par la performance, exigence généralisée sans aucune considération pour les particularités individuelles : les chevaux productifs et performants vivent plus ou moins bien, selon une idée anthropomorphique de ce que peut être une vie confortable pour un cheval. Les autres sont battus, brisés, relégués dans les boxes les plus pourris ou au fond des pâtures, ou envoyés à l’abattoir. 

« Comme à l’école », pensais-je déjà. 

Même les chevaux sont obligés de gagner leur vie. Ces êtres magnifiques épris de libertés… Quelle tristesse ! 

Évidemment, enfant, je ne formulais pas ces conclusions ainsi, je les ressentais, c’est tout. Si j’exprimais le malaise, c’était avec maladresse. Mes propos étaient accueillis comme de la sensiblerie, une preuve de mon immaturité et de mon ignorance du monde équestre. 


Le rire, la stupidité et le mépris des adultes abiment irrémédiablement les enfants, les individus en devenir, en élaguant des petits bouts d’estime de soi. 

Ce fut le début de mon autocensure. 
Je n’avais même pas dix ans. 



"Tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort ».

C’était une connerie. 

Du moins dans son acceptation banale et contemporaine. 

Au quotidien, la souffrance n’endurcit pas. 

Elle use. 
Fragilise. 
Affaiblit. 

L’âme humaine n’est pas un cuir qui se tanne avec les épreuves. 
C’est une membrane sensible, vibrante, délicate. 

En cas de choc, elle reste meurtrie, marquée, hantée."

- Le Passager (2011), Jean-Christophe Grangé




Déjà, la pression des résultats et l’impression d’inadéquation subséquente me tordait les tripes au quotidien, en plus de la crainte de l’avenir. Je devrais vraiment vivre dans le monde que me dévoilaient les adultes ? Un monde absurde, dur, cruel, d’une violence extrême, et dénué d’intelligence, me semblait-il. 

J’entendais par intelligence – et j’entends toujours – la faculté intuitive de percevoir ce qui ne se voit pas dans chaque être vivant, entre chaque être vivant, de comprendre l’essence même de la vie sans jugement ni calcul ni agenda. Mais cela me fut toujours renvoyé comme de la sensiblerie et de l’immaturité. 

D’autant plus que j’ai grandi dans un milieu sectaire aux valeurs hypocrites, incohérentes mais fixes, et aux définitions préétablies du monde et de la vie, préfabriquées, et sans discussions possibles[1]

J’ai développé dès lors une vigilance constante afin de ne pas laisser trahir ma sensibilité de perception. 

Mon humanité. 

J’ai cadenassé la largesse de mon esprit, rétréci ma vision avec les œillères qu’on m’a fournies, bloqué ma capacité à connecter les informations et les connaissances, comme si je voyais à la fois la fresque entière et chaque détail. Je me suis volontairement radicalisée et abrutie. La religion m’y a aidée. J’ai même l’impression qu’elle sert à ça. 





J’ai étouffé mes émotions et ressentis. J’ai fini par croire que ma voix intuitive était une preuve de démence. Je devais la taire à tout prix. 

Cette vigilance m’épuisait. Conséquemment, j’étais une grosse dormeuse. De plus, seule la nuit m’offrait un répit. La nuit, les adultes dorment. Leur monde horrible est moins présent. Je pouvais souffler, rêver à ma guise d’un monde qui me convenait mieux. 

C’est ainsi que j’ai commencé à inventer des histoires et des personnages de manière à me constituer un refuge, d’une part, et d’autre part de manière à exorciser les monstres mécaniques et institutionnels, ces fonctionnements de la société que j’entrevoyais sans encore bien les comprendre et qui me terrorisaient parce que je savais que je devrais les laisser me ployer, me plier, me tordre si je voulais vivre. 

Vivre. 


Ma petite enfance fut rêveuse.


Pour moi, la vie est intense. Elle n’a rien avoir avec la vie civilisée. 

La vie que m’offrait la société, c’était la mort. Une mort de zombie, une mort qui garde les yeux ouverts et le corps mobile comme celui d'un pantin. 

La mort physique, par contre, je l'ai toujours enviée. Cette mort-là était une disparition bienvenue, un sommeil prolongé indéfiniment, une nuit de répit sans fin. Cette mort-là, je la désire encore. Dès mes treize ans, j’étais possédée de « pensées morbides », comme disent les psys. Je contemplais la Meuse, en traversant le pont des Ardennes à pieds quand je revenais de l’école. Mais j’étais frileuse, je ne voulais pas mourir dans l’eau glacée. 

C’est idiot, n’est-ce pas ? J’ai toujours voulu mourir mais pas n’importe comment. Je m'aime suffisamment pour ne pas m'infliger des minutes d'agonie ou une mutilation corporelle même fatale.

Je préférais endurer une vie indigne que m’infliger une mort indigne. 

En attendant, je rêvais beaucoup. Éternelle distraite, vivant entre deux mondes, le réel infernal et absurde et celui, constamment renouvelé, que je créais dans ma tête, j’étais une enfant dans la lune. 

Une enfant de la lune, de la nuit, de l’ombre. 




FLB


[1] J’ai grandi dans la secte américaine des « Mormons », ou « L’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours ». Je vous invite, à ce sujet, à consulter mon autre livre « Rompre avec les croyances ». Vous aurez une idée précise des cadenas mentaux et émotionnels qui y sont mis en place dès l’enfance et qui ont accrus mon malaise, les mensonges imprégnés par conditionnement ainsi que les exigences morales totalement artificielles qui m’étaient imposées. On pourrait croire la situation inédite. Ce n’est pas le cas. À bien des égards, notre société fonctionne de la même manière qu’une secte. Monothéisme et gouvernement au pouvoir centralisé sont des systèmes jumeaux. Quand je me suis libérée de la secte, en réalité, je suis seulement sortie d’une petite cage dans la grande.







mardi 2 juillet 2019

Hypersensibilité : à la fois un avantage et un détriment



L'autre jour, j'étais au musée des Celtes de Libramont, à faire des dédicaces. 

Il y avait un concours pour les enfants. Un petit gars (6 ou 7 ans) se met à remplir le coupon, à ma table. Mais il traîne, il hésite... 

Sa mère soupire, puis claque la langue, tape du pied, roule des yeux. En bonne hypersensible et hyperempathique que je suis, je ressens l'impatience, l'énervement de la mère, une dureté aiguisée, cultivée, et en même temps, le stress grandissant du gamin, une pression qui lui paralyse la cognition et la mémoire. 

Il n'arrive pas à écrire son "H". Il ne se souvient plus comment faire, cela se voit à la manière dont il a suspendu le geste, le bic en main, à ses sourcils froncés, sa respiration retenue...

Je décrypte autant son language corporel que les émotions qui émanent de lui. Sa mère, fatiguée, lui arrache le bic des mains et s'empresse de remplir le coupon d'une écriture énervée. J'ai éprouvé le sentiment d'inadéquation du gosse, sa honte, la façon dont ce simple événement se compilait à tous les petits échecs précédents et comment ce sentiment d'impuissance, face aux exigences arbitraires des adultes, fendille le peu d'estime de soi qui lui reste. 

Il grandira sur cette insécurité, cette idée qu'il n'est pas à la hauteur. Au lieu de vivre, il tentera de compenser, encore et encore... à cause d'un "H" écrit trop lentement !

Personne d'autre, dans cette pièce, n'a ressenti tout cela, à part ce garçon et moi. 

J'aurais aimé pouvoir l'expliquer tout haut, aider cette mère à comprendre ce qu'elle ne ressent pas, ou plus, ou nie (parce que je perçois très bien que, quelque part au fond, elle sait ce qu'elle inflige ! Elle se durcit. Pourquoi ?) 

J'aurais voulu pouvoir l'expliquer tout haut pour que l'enfant comprenne que ce qu'il ressentait, la honte, la dévalorisation, la déception, etc. était provoqué par l'incapacité de l'adulte à gérer ses propres inadéquations (aucun parent n'est parfait, nous avons tous nos bagages, nos conditionnements... Mais la dévalorisation d'un enfant, surtout en public, c'est carrément pervers). J'aurais pu l'aider, à ce moment précis, à ne pas s'identifier à ces ressentis. En les conscientisant, en reconnaissant leur cause, leur provenance, il se serait détaché de l'impact et aurait pu s'épargner le mini-trauma supplémentaire, une fissure de plus à ses fondations.

Eh oui, je ressens...


On dit de moi que je suis hypersensible - je ressens tout très fort - et hyper empathique - je suis capable de percevoir les émotions, et parfois mêmes les intentions, où que je porte mon attention, autant de la part des gens que de animaux (et oui, ils ressentent, bien que ce soit non linguistiquement exprimé) et même les plantes (pas des sentiments ou des émotions, à proprement parler, mais des émanations de besoins, des énergies, des pulsions de vie).

L'hypersensitilbité et l'hyperempathie me permettent en outre détecter et catégoriser les schémas comportementaux. C'est une particularité de mon cerveau TDAH/TSA. Par ailleurs, il est également typique de l'enfant TSA  d'observer son entourage d'une manière digne d'un antropologue : reconnaitre, comprendre, c'est crucial. Discerner, catégoriser les indications verbales et surtout non verbales, évaluer les incohérences, etc.

Rapidement déterminer les propriétés d'un milieu et cerner un interlocuteur est réflexe de survie que j'ai développé très tôt dans ma vie : comprendre vite à qui j'ai affaire pour savoir comment lui paraître normal afin de subir moins de moqueries et de rejet.
La soumission, le besoin de ne pas décevoir, de ne pas déplaire, étaient de plus imprimés dans mon éducation religieuse ; l'urgence et l'omniprésence de la reconnaissance du Père, de l'autorité, de l'adulte. 

Ajoutons que culturellement, les filles ont tendance à se fondre dans la volonté de leur entourage, alors que les garçons vont résister d'avantage. Les filles masquent, les garçons bloquent. En général, bien sûr. Il existe toutes sortes de nuances et de situations. 

Durant toute ma jeunesse, j'ai appris à mettre en doute mes capacités de discernement. Trop dramatique, pas rationnelle...
"Tu fais des généralités" quand au contraire, je discerne, catégorise, sous-catégorise et crée des intesections de catégories... Ou alors "tu juges les gens", me reprochait-on. J'identifiais ("je lisais) une personne et réagissait en fonction, parfois par l'attaque ou la fuite si les incohérences entre le verbal et le non-verbal étaient trop fortes, ce qui était pris pour une réaction hautaine, pour du mépris. Pourtant, je ne posais pas de jugement de valeur. Je me protégeais de quelque chose que les autres ne voyaient pas, ce qui ne cesse de me surprendre.
Ceci alors que me juger semblait être la préoccupation première de tout un chacun, à l'école et ailleurs. Imaginez ma confusion !

Le paradoxe subséquent fut que durant la première moitié de ma vie, je détectais les violences institutionnellles et les personnes toxiques, mais comme je mettais en doute la validité de ces perceptions, je me faisais régulièrement abuser et je pensais que c'était normal qu'on me fasse me sentir comme si j'étais de la merde, puisque c'était le cas. J'étais folle, après tout, non ?

Ce n'est plus le cas aujourd'hui !

À présent, je suis souvent très surprise de la popularité qu'acquierent certaines personnes, de la facilité avec laquelle elles atteignent des statuts de leaders politiques et religieux, alors que les indications verbales ET non verbales démontrent clairement qu'il s'agit d'un pervers, d'un sadique, ou d'un des ces arrivistes manipulateurs sans scrupule que notre modèle socio-économique fabrique à la chaîne et propulse sur le devant de la scène. 
On dit que les TDAH et les TSA souffrent d'un handicap, qu'il sont "dysfonctionnels", mais de toute évidence, ce sont les neurotypiques qui sont complètement aveugles, dont les indicateurs sensibles sont en panne.
En cause, le règne de cette fichue normalité qui est en fait fondée sur l'amputation des capacités humaines, une forme de mutilation opérée dès l'école dans un but de fonctionnalité. Résultat, la société est irrémédiablement coincée dans un status-quo infernal d'injustice, de violences institutionnelles et d'exploitation banalisée, de destruction du vivant en nous et autour de nous, parce que les gens n'ont plus "d'antennes", plus de discernement conscient.


Le sensible gène, dans tous les cas. Vous pouvez danser sur votre tête : si vous êtes sensible, vous serez rejeté, rabaissé, blessé, exploité, et dans une constante dévalorisation de vous-même, ce qui fait de vous des proies faciles pour les pervers narcissiques.
D'une part, le sensible est difficilement exploitable, donc négligeable, et d'autre part, il est un dangereux révélateur. Il court-circtuite le déni, bouscule les tabous, déjoue le manipulateur, force les cadenas de la sacro-sainte raison, celle-ci étant le refuge favori des dominants et des exploiteurs. La première chose qu'ils vous reprocheront pour vous déstabiliser, c'est ne n'être par rationnelle ni raisonnable.

À l'âge adulte, toute estime de moi avait été oblitérée par une dévalorisation systématique de ce que je ressentais, percevait, pensait. Ma perception des choses était en constant décalage, mauvaise, risiblee, naïve, irrationnelle, au point que le sentiment d'inadéquation était devenu permanent. Je ne pouvais pas me faire confiance.
Dans ma jeunesse, je n'ai pas eu affaire à un parent toxique ou MPN, mais à un système de croyances fondé sur ce type de personnalité, Dieu étant l'archétype MPN par excellence, à l'image du prophète fondateur de la secte où j'ai grandi !

Or, je le sais à présent, ma perception des choses est valable et digne de foi ! Mes capacités de discernement sont d'autant plus perfomantes aujourd'hui que je suis enfin libre d'en prendre conscience, de mieux la comprendre, de la peaufiner en y ajoutant l'expérience de vie. J'apprends à embrasser le décalage comme un élément positif dans une société hypocrite, à comprendre l'inversion dont j'ai été la victime : le dysfonctionnel est très utile parce qu'il n'est pas noyé dans la masse, pas exploité, pas érodé. Il offre un point de vue extérieur, un nouvel angle d'approche.

Nous sommes TOUS des êtres sensibles, à la base, avec des variations d'intensité, mais le contexte artificiel - le stoïcisme exacerbé, le règne du mental, la division et le cloisonnement de notre être et la civilisation qui nous sépare de l'authenticité - nous dénature très tôt, nous déconnecte l'un de l'autre, dès la petite enfance.

En fait, les hypersensibles empathiques sont des êtres naturels. 

Mais bientôt, l'hypersensibilité et l'empathie deviendront des pathologies... On prescrira des régulateurs. Anxiolitiques, anti-dépresseurs... "Anti- humains". 

Au lieu de cela, je dis : conscientisons notre sensibilité ! Elle est une forme d'intelligence incroyable ! Autrefois, je me culpabilisais et me dévalorisais d'être aussi réceptive. Aujourd'hui, je pense que c'est un formidable atout ! Douloureux, certes, car la violence ordinaire, par exemple celle infligée à l'enfance et son impact à long terme, est difficile à absorber au quotidien. Je dois souvent me protéger, ce qui fait de moi une personne moins sociable et active.

Certains jours, je dois éviter la compagnie de mes semblables, choisir précautionneusement les endroits que je fréquente, afin de m'épargner un peu. 

L'ecriture de mes romans de fiction est un moyen merveilleux de découverte et de partage. À la fois une thérapie personnelle, afin d'identifier ce qui ne m'appartient pas (ce qui est inculqué) et de rejoindre ce qui m'appartient (ce qui est inné). C'est une étude du monde dans lequel j'ai vécu, sa reconstitution par la mise en scène littéraire. Mais c'est aussi une exposition de mon monde intérieure, et une vie par procuration, par l'intérmédiaire de mes personnages.
Un exutoire de première qualité ! Et un refuge, aussi. 

L'hypersensibilité et l'hypersempathie sont des thèmes récurrents, dans mes romans. Tous leurs aspects y sont illustrés.






FLB