Dans mon parcours pour trouver un psy versé dans le suivi individuel pour adultes hypersensibles et à l'intelligence à haut potentiel, comme on dit, je viens de buter sur une expérience intéressante.
J'avais déjà, deux ans auparavant, consulté ce psychologue, mais c'était dans le cadre de la fibromyalgie (résultant d'une vie d'hypersensibilité inhibée), dans un centre de la douleur chronique. Il me semblait avoir trouvé alors un excellent interlocuteur.
Cette fois-ci, j'ai senti tout de suite que quelque chose avait changé.
C'est le désavantage des patients hyper empathiques et intuitifs : ils "lisent" le thérapeute, détecte ainsi leurs incohérences. C'est pourquoi établir une relation thérapeutique sur un pied d'égalité est très important pour eux. Il ne s'agit, après tout, que de deux humains avec chacun des bagages de toutes sortes, mais à des endroits différents de leur vie et avec des formations et des rôles différents.
Bref, je percevais de la lassitude et de la contrariété sans pouvoir en définir l'origine (vie personnelle ou professionnelle ?) et aucune empathie.
Il démontra une attitude dédaigneuse dès l'abord pour le sujet que j'amenais sur la table, et j'ai quasiment passé 45 minutes à me justifier, entre ses coups d’œil vers sa montre (véridique !)
En conclusion de notre échange, il m'a carrément dit : "Adaptez-vous ou accepter votre souffrance, l'exclusion sociale et la précarité ! C'est comme ça que ça marche dans la nature aussi..."
Cette déclaration est non seulement fausse, mais perverse.
Dans la nature, me rappelle-t-on de temps en temps, les végétaux comme les animaux doivent s'adapter ou mourir. Les individus les moins aptes dans la «lutte pour la survie» sont éliminés, ce qui permet à l'espèce de se perfectionner de génération en génération. Les survivants développent une cuirasse, des épines, un aspect particulier, la faculté de grimper aux arbres, de changer de couleur ou de plonger dans l'eau, etc. pour pouvoir survivre et prospérer dans et avec leur environnement.
Fort de cette comparaison - qui a, doit-on le rappeler, stimulé les arguments de l'eugénisme nazi - on me demande donc de développer des changements en une vie alors que l'évolution donnée en exemple est affaire de mutations émergeant au cours de plusieurs générations au sein d'une espèce.
On peut alors examiner la formidable adaptation de peuplades telles que les bushman africains et les aborigènes d'Australie depuis le paléolithique, face aux changements climatiques ayant affecté la faune et la flore de leur milieu de vie, puis observer leur difficulté d'adaptation à la civilisation occidentale suite à la colonisation.
S'adapter à un milieu naturel fait partie des aptitudes naturelles, c'est intuitif (ou instinctif). C'est une évolution qui porte sur plusieurs générations et concerne l'entièreté d'une espèce. Par contre, s'adapter à un milieu artificiel tel que la civilisation occidentale industrialisée est un processus tout autant artificiel et contre-intuitif, portant sur quelques années (le plus vite possible après la colonisation, ou la naissance) et au niveau individuel.
Il s'agit d'ailleurs plus de soumission, voire de domestication, que d'adaptation. Et aucun être vivant n'est fait pour la domestication (d'où l'apparition de maladies, troubles, désensibilisation et perversions).
Nous, nous sommes nés dedans et on nous domestique dès l'enfance. Mais même alors, nombre d'entre nous souffrons de cette domestication et nous "adaptons" difficilement, ou jamais.
Il est donc pervers de demander à un individu en souffrance de s'adapter immédiatement ou d'accepter son exclusion ou la précarité (d'autant plus que tout accès à l'autonomie fut "privatisé", monnayé et réservé, comme tout le reste...) !
J'ai vécu en Arizona, dans des réserves Navajo et Apache. On y rencontre le même problème d'adaptation que partout ailleurs dans l'ancien empire britannique ou autres colonisations, avec son lot de maladie, de pauvreté, d'alcoolisme et d'addiction diverse, de violence (agressivité exprimant la violence intérieure). Franchement, cela m'a éclairée quant à ma propre souffrance et quant à la dénaturation qu'implique notre civilisation.
J'ai souvent dit que je me sentais comme un amérindien forcé de vivre parmi les blancs ou un Celte obligé de vivre dans un monde romain.
Cette comparaison entre la sélection naturelle et l'adaptation de l'individu dans la société est donc tout à fait absurde.
L'application du darwinisme social prend bien des formes, jusqu'à se retrouver en consultation avec un psy.
Et jusqu'à se retrouver dans le développement personnel où l'utilisation de l'admonition de sortir de sa zone confort est extrêmement perverse, quand au lieu d'aider l'individu à éclore (sachant que l'éclosion est un processus naturel et saisonnier), elle sert la plupart du temps à le forcer à "s'adapter" à un milieu scolaire ou corporatif, ou à une démarche/pensée/action typiquement entrepreneuriale, à un moment imposé et dans un délais très court !
Le coach où le motivateur déclenche alors une violence incroyable, de loin, qu'il justifie par la nécessité du développement (jumeau de la fameuse croissance impérialiste/capitaliste, fondement de la civilisation occidentale), et dont il se dédouane facilement puisque c'est la personne qui se l'inflige elle-même. Le "succès" impliquera souvent une forte désensibilisation !
Sortir de sa zone confort, dans ce contexte, consiste donc souvent à abandonner derrière soi son essence, et non son enveloppe (mais on vous fait croire le contraire en inversant la signification de toutes sortes de métaphores pittoresques, dont celle du serpent qui mue ou du "Bernard l'ermite").
Conséquemment, les humains qui y parviennent sont souvent "déshumanisés", car tel est le prix de l’ascension sociale et professionnelle, quand les règles du jeu sont économiques, et ils sont fiers de leur accomplissement, par-dessus le marché ! (sans jeu de mots). Et ce sont eux qu'on encense comme modèles, qui parviennent aux postes de gouvernance, à la haute finance, qui définissent les valeurs et fonctionnements institutionnels.
On n'est pas près de sortir du paradigme actuel...
Je dois donc combattre ma nature vivante sensible pour obtenir le bonheur, ce nouveau Graal civilisationnel, et atteindre la réussite, apanage des bien-adaptés.
Paradoxal, non ?
Surtout si on prend en compte cette phrase de Sénèque, qui figure dans le premier chapitre de mon roman "Résilience" : "Le bonheur, c'est de vivre en accord avec sa propre nature".
On peut discuter du concept de "nature humaine", et je vous conseille à ce sujet les ouvrages de l'anthropologue Marshall Salhins, il n'empêche que notre nature profonde (notre essence) et la Nature (l'organisation spontanée de la vie terrestre) sont composé des mêmes éléments et s'accordent parfaitement - c'est fait pour - tandis que notre nature profonde (notre essence) est "naturellement" réfractaire au fonctionnement institutionnels et à l'industrie, tout comme l'est la Nature ! Doivent être mis en place, dans l'éducation (ou la domestication : fait de rendre utilisable), une désensibilisation et dénaturation préalable.
L'intelligence dominante est, évidemment, la plus apte à endurer ce processus !
Le darwinisme appliqué...
Par ailleurs, quand on suggère à un enfant de s'adapter à l'école ou à un adulte de s'adapter à la société sous peine d'exclusion et de précarité (le sort des inadaptés...), il n'est même pas question de combattre une mauvaise habitude, une dépendance ou un vice. Ce n'est pas comme si on devait cesser de procrastiner, de mentir, d'arrêter de fumer, de se saouler ou de se droguer, de compulsivement dépenser la paie dans des jeux de hasard, de voler à l'étalage, de mater les enfants à la sortie de l'école avec des sucettes plein les poches ou d'escroquer des clients.
On ne parle pas non plus de s'adapter à des coutumes locales en cas de voyage ou d'expatriation (ou d'immigration, le terme approprié dépendra du fait que vous ayez le choix et les moyens ou pas).
Non, s'adapter, dans ce cas précis, implique bien une domestication, soit de combattre tout ce que votre intuition vous indique comme étant sain, de votre neurobiologie jusqu'à ce qui vous compose intrinsèquement, ce qui vous définit hors culture, votre identité intime, votre essence, afin de fonctionner dans la partie de Monopoly en cours sans avoir le choix de ne PAS jouer.
Plus jeune, je m'y soumettais, à cette lutte contre ma nature et la nature.
À présent, après qu'elle m'ait épuisée et usée, je n'en veux plus.
Par contre, je ne suis pas réfractaire aux compromis inscrits dans une éducation visant à vivre ensemble, une éducation pour et par la conscience.
Mais pour que j'y consente pleinement, les lois et fonctionnement auxquels je me plie doivent être :
- Légitimes ! C'est à dire qu'ils servent à l'ensemble du vivant.
- Réciproques ! Une démarche active de part et d'autre afin de promouvoir et d'harmoniser la diversité et non une soumission chimique et/ou "thérapeutique", une régulation des uns pour la pérennité d'une majorité normalisée.
- Respectueuse ! Sans mépris, condescendance ni jugement. Horizontale, quoi, et non plus verticale.
Cette adaptation perverse m'a ramenée à la problématique de l'orientation sexuelle parce que c'est exactement ce qu'on réclamait des homosexuels il y a encore 50 ans (et qu'on leur réclame encore dans de nombreux endroits du monde, pas si loin de chez nous) : puisque l'homosexualité n'est pas compatible avec les valeurs et les mœurs de la société, ne soyez pas homosexuels, tout simplement. Ou alors, acceptez l’oppression, le rejet, la thérapie de conversion, la castration chimique, voire la prison.
Or, l'homosexualité n'est pas un choix, on le sait aujourd'hui. C'est comme naître gaucher ou droitier. L'homosexualité n'existe même pas, en fait. La sexualité n'est pas cette pulsion ponctuelle servant, pour les uns, à la reproduction, pour les autres, au plaisir, ou pour quelques uns, à l'union sentimentale. La sexualité fait partie intégrale de l'être dans toutes ses dimensions et expressions, elle est ouverte, complexe, fluide, variable... Ce fut le cas de tout temps et partout dans le monde vivant.
N'en est-il pas de même pour les intelligences divergeant de l'unique qui règne et décide de tout ? Une intelligence pervertie par la civilisation qu'elle a créée, une intelligence économique déjà quasiment artificielle (n'ayant plus rien avoir avec le vivant et le sensible), donc purement fonctionnelle, factice et superficielle, vorace, matérialiste, réductionniste, égotique, etc.
Nous sommes sur une planète qui, de toute la galaxie, est la seule à favoriser la vie dans toute sa magnificence, en pleine diversité, de manière écosystémique spontanée. C'est un miracle rare, dans l'univers. La prérogative est donc LE VIVANT !
La civilisation ne devrai-elle pas s'adapter à la vie ? Au lieu de quoi, nous n'avons de cesse de réduire la vie aux besoins de la civilisation.
Un jardin est un lieu ou la nature est domestiquée ! Comme notre société. |
Et si l'on veut jouer dans la cour de l'évolution... Qu'est-ce qui nous dit que les TDAH, HP, Aspies, hypersensibles, et autres intelligences atypiques catégorisées comme des dysfonctionnements ou des troubles ne sont pas des traits d'évolution ?
Et si la civilisation occidentale, en décrétant qu'un seul fonctionnement cognitif était valable, obligeant tous les autres à s'adapter à sa structure artificielle, freinait l'évolution naturelle de l'être humain ? Conséquemment, elle enraye les possibilités d'adaptation de l'humanité au milieu vivant, et est constamment obligée de pousser ses technologies pour compenser la dégradation de ce milieu, enclenchant alors un cercles des plus morbides et vicieux ? Hmmmm ?
L'image ci-dessus m'a amusée parce qu'elle exprime très bien le rapport entre le pouvoir (à tous les niveaux : monothéisme, pensée unique, management et autres gouvernances, pouvoir centralisé, neurobiologie dominante, système hiérarchique, etc.) et sa peur de la diversité ou de la divergence qui pourrait le détrôner.
Ou de l'évolution...
Je trouve que la psychologie générale collabore en grande partie au maintient de ce rapport de domination par la pathologisation des intelligences hors normes et par la responsabilisation dans l'impuissance. Heureusement que la science neurologique vient peu à peu renverser la vapeur... quand elle n'est pas instrumentalisée ou asservie, ce qui en ralentit la progression, puisqu'elle dépend des moyens et des budgets alloués, des directions imposées aux recherches, et du lexique utilisé (voir article "Le lexique par lequel on nous définit" ICI).
Donc, dois-je "m'adapter" ou, au contraire, réclamer le droit de vivre dans le respect de ma propre nature, militer pour l'adaptation de la structure à la diversité des intelligences et non l'inverse ?
Il faudrait pour cela que les personnes aux intelligences pour l'instant pathologisées et les parents d'enfants concernés s'unissent dans cette même optique pour forcer les institutions, surtout celles du système éducatif, mais aussi dans les domaines professionnels, à se fluidifier.
À redevenir écologique, en toute diversité, au lieu d’œuvrer pour un seul point de mire : l'économie !
Car c'est à ça que sert l'école, non ? Assurer la pérennité des rouages économiques ?
Il faudrait aussi que les professionnels de la santé mentale, médecins, thérapeutes, scientifiques, éducateurs de tous poils, s'impliquent dans cet objectif.
Utopie ?
Je vous laisse y réfléchir.
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FLB