Puisque l'écriture est mon médium artistique favori, j'ai conçu ce blog pour partager mes réflexions et expériences car tout, chez moi, est "hyper" : l'activité cérébrale, les émotions, les sens, la perception, l'empathie, l'intuition... Diagnostiquée TDA(H), puis Asperger et HP à l'aube de mes 50 ans, j'explore ces étiquettes et j'exprime mes découvertes et ressentis..

mardi 19 novembre 2019

Barbares et sauvages

"Etre libre ce n'est pas seulement se débarrasser de ses chaînes ; c'est vivre d'une façon qui respecte et renforce la liberté des autres. La véritable épreuve pour notre attachement à la liberté vient de commencer." - Nelson Mandela


En attendant, on trouve encore des livres qui disent vouloir aider les parents a garder leurs enfants calmes et attentifs, et présentant "50 fiches CONTRE l'hyperactivité et le TDAH". 

CONTRE !
Le choix des mots...

Où comment aller CONTRE la nature de votre enfant. 
Contre la nature...
Les gens qui connaissent et respectent le moins la nature aiment l'utiliser comme argument pour forcer leur normalité : "c'est contre-nature", tout en s'opposant à elle de toute leur volonté.

Domestiquez-les convenablement, vos enfants ! Qu'ils demeurent calmes et attentifs, tous sans exception, prêts au gavage, immobiles sur leur banc d'école. 

Notre civilisation adepte de l'uniformisation a toujours horreur des "barbares" et des "sauvages". Elle les a systématiquement colonisés, dévalorisés, diffamés, pour installer sa supériorité, et s'ils résistaient, ne se rendaient pas exploitables, elle les exterminait.
Quand ils naissaient en son sein, elle les traitait de cancres, les éjectait, les cassait dans la pauvreté, en faisait de la chair à canon ou de la main d'oeuvre. 
Aujourd'hui, elle leur liste leurs déficiences, elle les pathologise et les drogue.

On m'a un jour fait remarquer l'analogie avec les chevaux, étant donné que j'ai travaillé longtemps dans le milieu équestre.
"Si tu avais dans ton écurie un cheval intraitable (ce qui le rendrait dangereux, vu la taille et les "armes" d'un cheval : sabots, puissance, dents...), tu ne lui donnerais pas un calmant, ne fût-ce que pour pouvoir lui prodiguer les soins élémentaires du maréchal-ferrant ou du vétérinaire ?"
Oui mais attendez, là... On parle bien de domestication, n'est-ce pas ? Parce que dans l'idéal, un cheval intraitable, je le remets en liberté avec ses semblables sauvages. D'accord, la vie sauvage nous apparaît comme cruelle, mais on oublie l'incroyable violence que la domestication inflige à la nature, à l'instinct, à l'individualité des êtres vivants réduits à l'utilisation (ou à l'emploi) !
Au sinon, puisqu'il n'y a plus de troupeau de chevaux sauvages, je laisserais cet animal vivre autant que possible selon ses inclinations, mais puisque je l'ai privé, par la domestication, de tout accès à l'autonomie, c'est à moi d'assumer les soins et l'apport alimentaire tout en respectant son désir d'indépendance.
Il n'est pas dans mes écuries par choix, faut-il le rappeler !
De même, notre société devrait élargir ses systèmes de manière à rendre l'autonomie à ceux dont la nature, l'inclination et l'intelligence réclame un autre fonctionnement.
Plus d'autonomie et de largesses dans la pédagogie, dans les horaires, dans la chronologie de l'apprentissage, dans la vie de tous les jours, dans l'accès aux professions artistiques, artisanales, scientifiques et indépendantes, etc.
Remplacer les profs par des guides et des mentors, des adultes qui savent ce que c'est que d'être "sauvage" et qui enseignent par l'exemple, par la présence, par la conscience, l'équilibre entre l'individu et le collectif.

Ainsi que le proposent maintes écoles à la pédagogie alternative ! Rendre ces écoles accessibles, et diversifier les types d'écoles et de pédagogies, sans pour autant que cela nuise à l'accès au monde professionnel (qui doit, lui aussi, s'élargir, du coup), quel rêve magnifique !!



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[Source de l'image : https://www.youtube.com/watch?v=LqgVf2APQqQ]
Car c'est cette même violence de domestication qui est infligée aux "sauvages" et "barbares" de nos salles de classe, ou de nos écuries de poulains destinés à l'emploi.

L'emploi ! Je ne me suis toujours demandée pourquoi ce terme associé au vivant de choquait personne...

Tant qu'on ne créera pas une société qui permet aux individus de cohabiter et de "fonctionner" ensemble dans le respect des diversités de natures, d'inclinations, de genres et d'intelligences, notre société ne sera rien d'autre qu'une entreprise d'exploitation intensive, et nous ne seront rien d'autres que des outils.  

Quand, l'année dernière, j'ai repris des études, un régendat en français, dans un élan masochiste, sans doute, mais aussi pour voir l'école sous un autre angle, j'ai dû faire des stages dans un collège.

Dans ses classes de première secondaire, la prof de français - un cours majeur et déterminant - adoptait un comportement volontairement méprisant, rabaissant, envers les enfants présentant une intelligence alternative : HP, TDAH (mais qui sont souvent HP aussi), les timides, les distraits, les artistes, les sensibles...
Elle les "cassait".
Et insistait auprès des parents que ce collège n'était pas un endroit pour leur enfant. Elle les poussait dehors à coups de petites humiliations répétées, de mauvaises notes, de mots dans le journal de classe, de punitions ("copiez 100 fois la page 65 du Bescherelle". Véridique !)
Elle écrémait ainsi ses classes de premières.
Et personne ne trouvait ça abjecte.

Ce n'est pas un comportement isolé !
Mon fils "dys" en a fait les frais en première primaire, dans un autre collège.

De fait, lorsque j'ai observé et puis donné cours dans ses classes de deuxième, donc la crème, j'avais devant moi des jeunes sans plus aucune étincelle d'intelligence créative.
Éteints.
Dociles.
Calmes et attentifs.

Ah, pour ça, c'était bien plus facile de donner cours à une classe de 25 ados calmes et attentifs, obsédés par les points sur le bulletin, qu'à une classe de 25 ados aux intelligences aussi diverses qu'il y a de personnalités !

Qu'on réduise le nombre d'élèves par classe !
Et qu'on diversifie cette foutue pédagogie !!

Mais il y a pénurie de profs, vous répondra-t-on.
Alors là, c'est un comble, parce que j'ai passé une année entière en haute école, et s'il y a une chose dont je peux témoigner, c'est que la formation des profs est élaborée pour et par un seul type d'intelligence, celle qui règne en maître et ne supporte pas de concurrence.
Les hypersensibles, les HP, les TDAH et autres atypiques ne peuvent pas endurer longtemps ce type de formation en apparence pleine de bonne volonté mais prise dans la rigidité institutionnelle réfractaire à toute évolution. 
Oh, j'ai eu des profs vraiment supers quoique eux aussi un peu résignés par la force des choses. Face à ce Goliath institutionnel, les quelques David encore motivés sont rares.
Conséquemment, nous étions 33 en septembre et 12 en juin.

Et dans ces 12, quelques uns s'accrochent encore parce qu'il le faut bien, désenchantés et dégoûtés qu'ils sont. Ils se fabriquent eux-mêmes les œillères pour tenir le coup. Ils se désensibilisent et se dénature (on appelle ça de l'adaptation. Voir l'article ICI). Ils ont besoin du diplôme et espère un boulot qui donne un brin de sens à leur vie.
Les bonnes intentions de l'institution éducative, c'est du flan !
Avant de lancer des décrets à tort et à travers pour réviser l'école, c'est la formation des profs qui doit être réformée. Il faut remodeler les cours et les stages, balayer les incohérences et l'hypocrisie. C'est là qu'il faut d'abord réinstaurer la diversité !

Parce que les jeunes qui sortent diplômés des hautes écoles sont ceux qui ont pu endurer le formatage, souvent parce qu'ils sont d'une intelligence similaire à l'intelligence régnante, pour la majorité, et ils ne voient pas du tout où est le problème, ou, pour une minorité, qu'ils se sont abîmés pour tenir le coup. L'écrémage commence là ! 
Conséquemment, il n'y a pas assez de profs, d’une part, et il y en a très peu qui sont prêts à militer pour apporter à l'école un changement assez profond vers le respect de l'enfant, de l'humain. D'autant plus qu'il est difficile de faire évoluer l'école sans qu'évolue, en parallèle, la société ! 
L'emploi, le consumérisme, le travail, les familles... tout ça.
La tâche semble titanesque !

Notre société n'est jamais sortie du colonialisme. Elle persiste à dominer les personnalités et les intelligences "barbares" et "sauvages", les esprits libres, naturellement anarchistes, ceux qui veulent bouger plus vite, sont qui sont naturels, qui ressentent plus intensément, qui désirent penser autrement, apprendre autrement, comprendre autrement, vivre autrement, qui bousculent et menacent d'éclater les carcans.

"Mais mâtez ces gosses, à la fin !" entendra-t-on encore longtemps, hélas.



FLB

mercredi 13 novembre 2019

Le lexique par lequel on nous définit




Depuis qu'on m'a affublée de cet acronyme TDAH + HP pour expliquer mes épuisements et dépressions chroniques, je me suis penchée sur les sites, les brochures et les groupes Facebook dont l'objectif est de sensibiliser la population, les parents, les éducateurs, les assistants sociaux, etc.

Vous savez ce que ça fait de se voir décrit uniquement en termes de déficit, de trouble, de difficultés neurobiologiques, de faiblesse, et de voir lister en conséquences de mes spécificités atypiques les catastrophes et échecs sociaux, professionnels et personnels qui m'attendent ou que j'ai traversés ?

Encore récemment, dans un article scientifique, on parle "des altérations du cerveau qui perturbent les processus cognitifs, mais aussi des anomalies qui provoquent des carences de motivation"... J'vous jure  
Les Scientifiques s'obstinent à vouloir que tous les cerveaux humains soient identiques et conformes à un seul processus cognitif que, je ne sais selon quel critère uniquement valable pour les codes restreints de la civilisation occidentale, ils estiment idéal, sans doute, allez savoir ! Et tout ce qui diverge n'est plus que dysfonctionnements ou troubles ou perturbations. Ça commence à m’énerver un brin, cet espèce de totalitarisme uniformisateur qui transforme la diversité en une déclinaison de pathologies.
Carences de motivations ? Tu parles !
Personnellement, je ne trouve pas grand chose de motivant à la vie moderne. Est-ce vraiment la faute de mon cerveau ?

En tant qu'adultes TDAH, on nous décrit sans cesse comme des dysfonctionnels congénitaux pour lesquels le bonheur et la fameuse réussite (selon des définitions bien spécifiques de ces notions) sont inaccessibles sans un traitement  thérapeutique et/ou médicamenteux.
On nous évalue en coût pour la société et pour l'éducation. Les statistiques nous inscrivent dans les basses classes sociales, instables et incapables que nous sommes de générer puis de gérer le fric.
D'un autre côté, existe-il pour nous un autre débouché ? Une forme d'autonomie qui nous permettrait de vivre dignement en toute créativité et selon notre esprit dénué d'ambition professionnelle ou sociale typique, de ce besoin de rendement?
NON.
Parfois, je me dis que les TDAH sont les résurgences d'une civilisation plus ancienne... Ou bien la marque d'une évolution qu'on s'efforce d'endiguer pour assurer la pérennité du système en place. 
Ou les deux.

En tant qu'enfant... J'imagine, non, JE SAIS, ce que ressentent ces enfants dont la personnalité, l'esprit à tendance anarchique, la sensibilité et l'intelligence subissent des attaques incessantes de la part des adultes. Les parents sont épuisés et débordés, en questionnement parental et en burnout par la faute de ces enfants infernaux et incompréhensibles. Les instituteurs doivent exercer des efforts considérables et éreintants pour gérer ces élèves et certains ne retiennent pas de le dire tout haut.
Ces gosses se coltinent, en plus de l'école, des devoirs et des activités extrascolaires où il faut AUSSI des résultats satisfaisants, des consultations chez une flopée de professionnels, pédopsychiatres, logopèdes, etc. pour bien démontrer qu'ils ont un problèmes à soigner.
Les médicaments doivent être testés jusqu'à ce qu'on trouve le dosage qui les rendront dociles, et bonjour les effets secondaires ! Tant pis s'ils ont l'impression de ne pas être eux-mêmes tant que dure l'action des médocs puisqu'ils ne font plus de vagues et qu'ils ont de meilleurs résultats scolaires (ce qui les rend plus heureux, il faut l'avouer, moins anxieux puisque les adultes autour d'eux sont satisfaits).

Ah, oui, parce que leur identité, leur valeur sociale et leur avenir dépend de leurs résultats scolaires.

L'impression d'inadéquation, le stress d'inhibition, l'horrible sentiment d'impuissance, et les impacts sur ces être hypersensibles et hyperémotifs des disputes, cris, accusations, déceptions, injustices, horaires serrés, pressions, étiquettes, immobilisation, stigmatisation, provoquent des crises qu'on remet sur le compte de leur instabilité, et le cercle vicieux destructeur d'estime de soi est enclenché. Mais en étant régulés chimiquement, ils ne souffrent plus de leur différence. Ils ne sont plus un problème ni une déception. Ils se sentent à nouveau aimés, acceptés. 
Alors on dit : "Ah, le médoc agit bien. Quelle chance !"
Oui, mais à quel prix ?

Pourtant, savez-vous que les enfants TDAH et/ou HP ont une conscience et sensibilité de soi plus élevée ? Il savent très bien ce qui leur convient ou non et ils réagissent  par le fight-or-flight de manière plus excessive. C'est d'autant plus une question d'auto-préservation qu'ils ressentent très fort la peur d'être abîmés dans leur intégrité physique ou psychique.
Et du coup, c'est certainement ce qui leur arrivera... Puisque peu de structures dans lesquelles ils doivent grandir ne les abîment pas.
Au lieu de mettre en avant cette conscience de soi, d'aider leur entourage à accepter ce besoin de cohérence, de montrer à ces enfants comment se faire respecter avec tact au lieu d'exploser ou de tolérer ce qui leur est toxique - et c'est une capacité dont nombre de personnes pourraient bénéficier - on les dit irritables, agressifs.

Savez-vous que ces enfants ont un sens développé de la justice qui les pousse à apprécier la transparence ? Ils vous disent spontanément ce qu'ils pensent, ce qu'ils ressentent, ce qu'il vivent (sauf une fois conditionnés, évidemment, quand ils ont appris que beaucoup d'adultes autour d'eux sont faux ou n'en ont rien à foutre. Alors ils pratiquent une inhibition qui les mine). Ils ont du mal à comprendre les conventions sociales stoïciennes, les secrets, les tabous, la diplomatie, les codes sociaux plein d'hypocrisie... et la politique. Au lieu de soulever leur franchise et leur ouverture d'esprit, le fait qu'ils ne sont pas calculateurs ni manipulateurs (au début, en tout cas), ni hypocrites ni stratèges, qu'en dit-on ?
Qu'ils sont naifs, impulsifs, irréfléchis, désorganisés.
Rien que des traits négatifs.

Savez-vous que ces enfants sont autodidacte de préférence et ont la faculté d'appréhender plusieurs choses à la fois ? Si l'école organisait plusieurs cours dans la même classe et permettait aux élèves qui le souhaitent de passer de l'un à l'autre à loisir, les TDAH seraient aux anges.
Et les autres élèves, clairement en désavantage !
Et pourtant, parce que l'école est élaborée par et pour un seule type d'intelligence, on leur diagnostique un "trouble du déficit de l'attention". C'est tout de même un comble, non ?

Savez-vous aussi que les dyslexiques ont une vision et une mémoire qui pourraient se révéler être un avantage pour une compréhension alternative des choses ? Imaginez ces enfants dans une civilisation fondée sur la tradition orale. Ils y seraient brillants ! Idem pour les dyscalculiques : leur façon d'appréhender les nombres et les quantités pourraient nous éclairer à bien des niveaux.

Au lieu de quoi, on parle de déficit, de trouble, de dysfonctionnement, de dépression, de dysphorie, de mal-être, de désorganisation, de difficultés neurbiologiques, et j'en passe... Mais si vous demandez à une antilope de se comporter comme une panthère ou à un poulpe de se faire passer pour un poisson rouge, il y aura certainement un mal-être et des difficultés !



Pourquoi les divers organismes et associations de sensibilisation ne promeuvent-ils pas plus l'élargissement des normes institutionnelles et l'adaptation des pédagogies, des structures d'accueil et de vie à la diversité des intelligences, des personnalités, plutôt que les traitements médicamenteux ? 
Pourquoi ne parle-t-on pas de la sensibilité aiguisée, de l'intuition développée, de la fougue, de la spontanéité, de l'authenticité, bref des caractéristiques de ce type de personnalité en termes positifs de capacités, de curiosité, de propension à l'autonomie, d'intelligence globale, et ne met-on pas en avant les avantages de tels processus neurobiologiques ?

Pourquoi ne pas élargir la marge de tolérance envers l'impulsivité, la créativité, la sensibilité ?

« LA MANIÈRE DONT UNE SOCIÉTÉ CONSIDÈRE LE HANDICAP EST UN CHOIX DE CIVILISATION. Il faut d’abord cesser de le considérer comme une exception, de le réduire à quelque chose de pathologique. Il est inclus dans l’ensemble de la société. Et plus encore, il est une clé pour le progrès. Lorsqu’on met en place des systèmes de compensation du handicap, ils servent à tous. Par exemple, faciliter la montée dans un bus simplifie les choses pour tout le monde." 

Ryadh Sallem, triple champion européen de basket fauteuil et champion de rugby-fauteuil,


Que la différence  vise le fonctionnement physique ou intellectuel, c'est le même combat, et les aménagements à l'école ou au boulot pour les personnes hyperactives comme pour les personnes en chaise roulante pourraient bénéficier à tout le monde.



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Le TDAH au boulot ^^

Je dirais aussi que le revenu universel est un projet qui éroderait grandement le mal-être des personnes atypiques car cela leur offrirait une plus grande marge de manoeuvre pour se trouver ou se créer une occupation professionnelle qui leur convient. La pression de l'agenda (il faut savoir marcher à tel âge, savoir parler à tel âge, avoir tel diplôme à tel âge...), de trouver et de garder un emploi - n'importe quel emploi - doublée de la stigmatisation des "non productifs", est aussi toxique que celle d'avoir de bons résultats scolaires alors qui ni l'un, ni l'autre n'est révélateur de l'intelligence et des compétences de la personne.
De plus, cela permettrait aux parents d'enfants atypiques d'avoir une vie bien plus saine, avec moins de tension. 
Moins de mal-être => plus de diversité => plus de productivité => économies à tous les niveaux, y compris la Sécu.

Ah, mais on vendra moins d'antidépresseurs et d’anxiolytiques, et surtout moins de Rilatine et Cie...


Pour en revenir au lexique

"La déficience nous rappelle la fragilité de notre propre enveloppe corporelle. Elle renvoie aussi à notre fantasme d’être parfait, sans défaut, comme si c’était de l’ordre du possible.

La différence nous renvoit à la peur de l’autre, de l’inconnu

L’incapacité n’est jamais qu’une question de valeurs. La société en général voit le handicap avant tout en terme d’incapacité : la personne à mobilité réduite, l’aveugle, le déficient mental etc. S’il est logique de cerner une personne par rapport à des caractéristiques évidentes et importantes, cela réduit non seulement la personne porteuse de déficience à une étiquette étriquée, mais cela n’ouvre pas la voie à la reconnaissance de tant d’autres facultés." 

[https://www.plateformeannoncehandicap.be/professionnel/handicap-societe/le-sens-du-handicap-dans-notre-societe/

Enfin, le trouble vient de la peur - encore - du chaos et du désordre que l'on imagine plus difficiles à exploiter ou à gérer. Ainsi, lorsqu'on jette un pavé dans une mare d'eau plane, ça éclabousse, ça fait remonter la vase, ça fait des vagues et ça dérange.
L'eau devient trouble et imbuvable. On ne voit plus le fond. L'image est parlante, non ?


Et je terminerai avec les mots du Joker, parfaitement adaptables dans le cas des atypiques, bien que je m'indigne contre la notion de maladie mentale : 

"Le pire, quand tu souffres d'une maladie mentale, c'est que les gens s'attendent à ce que tu te comportes comme si ce n'était pas le cas."



FLB








samedi 2 novembre 2019

Enfant de la lune

Un enfance heureuse.... tant qu'on me foutait la paix.



J’ai toujours cru que j’étais folle. Enfin, toujours…. Depuis ma troisième ou quatrième primaire. C’est l’école qui a défini ma différence. 

Avant ça, durant ma petite enfance, tant qu’on me foutait la paix, j’étais heureuse. 

Oui, j’ai une excellente mémoire émotionnelle et sensorielle ; à défaut de me souvenir des noms, des dates et des lieux, je me souviens des ressentis, des sensations. Petite fille ou petit garçon, je ne faisais pas la différence, je folâtrais sans pression ni répression, en pleine découverte, en toute fraîcheur. Cela se voit sur les photos de mon enfance : la béatitude a subsisté jusqu’à ce qu’on me mette en rang dans la cour, jusqu’à ce qu’on me dise de rester assise sur un banc à ingurgiter des données comme une oie en cage au gavage.

Mon visage s’est éteint. 

À l’école, l’identité se forge à coups de bulletin. Ce sont les notes qui décident du présent et de l’avenir. Et de la valeur sociale de l’individu. 

L’impuissance apprise commence là. En tout cas, pour ceux dont le cerveau n’est pas calqué sur les méthodes pondues par les pédagogues des hautes instances éducatives qui s’occupent du formatage des futurs citoyens. Oui, parce que de là-haut, éducation rime avec domestication. C’est toujours comme ça que je l’ai ressenti dans mon enfance. 

Enfance, joie et spontanéité.

J’avais de quoi comparer puisque, passionnée de chevaux depuis toute petite, j’ai très tôt, à chaque congé scolaire et d’un week-end à l’autre, parcouru les centres équestres de ma Wallonie natale. J’ai toujours eu en commun avec les pensionnaires équins, ces êtres magnifiques épris de grands espaces libres, l’obligation de la bride, du mors, et de la soumission à l’exploitant. 

On me disait passionnée par l’équitation et pourtant, monter à cheval dans le contexte des cercles équestres me déchirait le cœur. Tout sonnait faux, dans l’équitation. C’était superficiel. C’était mal. C’était une insulte à l’intelligence des chevaux. 

Malgré tout, le seul accès aux chevaux et au mythe de la liberté qu’ils contenaient passait par le manège et sa galerie d’horreur. 

Différence de valeur basée sur la race, travail répétitif, soumission, méthodologie, traitement défini par la performance, exigence généralisée sans aucune considération pour les particularités individuelles : les chevaux productifs et performants vivent plus ou moins bien, selon une idée anthropomorphique de ce que peut être une vie confortable pour un cheval. Les autres sont battus, brisés, relégués dans les boxes les plus pourris ou au fond des pâtures, ou envoyés à l’abattoir. 

« Comme à l’école », pensais-je déjà. 

Même les chevaux sont obligés de gagner leur vie. Ces êtres magnifiques épris de libertés… Quelle tristesse ! 

Évidemment, enfant, je ne formulais pas ces conclusions ainsi, je les ressentais, c’est tout. Si j’exprimais le malaise, c’était avec maladresse. Mes propos étaient accueillis comme de la sensiblerie, une preuve de mon immaturité et de mon ignorance du monde équestre. 


Le rire, la stupidité et le mépris des adultes abiment irrémédiablement les enfants, les individus en devenir, en élaguant des petits bouts d’estime de soi. 

Ce fut le début de mon autocensure. 
Je n’avais même pas dix ans. 



"Tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort ».

C’était une connerie. 

Du moins dans son acceptation banale et contemporaine. 

Au quotidien, la souffrance n’endurcit pas. 

Elle use. 
Fragilise. 
Affaiblit. 

L’âme humaine n’est pas un cuir qui se tanne avec les épreuves. 
C’est une membrane sensible, vibrante, délicate. 

En cas de choc, elle reste meurtrie, marquée, hantée."

- Le Passager (2011), Jean-Christophe Grangé




Déjà, la pression des résultats et l’impression d’inadéquation subséquente me tordait les tripes au quotidien, en plus de la crainte de l’avenir. Je devrais vraiment vivre dans le monde que me dévoilaient les adultes ? Un monde absurde, dur, cruel, d’une violence extrême, et dénué d’intelligence, me semblait-il. 

J’entendais par intelligence – et j’entends toujours – la faculté intuitive de percevoir ce qui ne se voit pas dans chaque être vivant, entre chaque être vivant, de comprendre l’essence même de la vie sans jugement ni calcul ni agenda. Mais cela me fut toujours renvoyé comme de la sensiblerie et de l’immaturité. 

D’autant plus que j’ai grandi dans un milieu sectaire aux valeurs hypocrites, incohérentes mais fixes, et aux définitions préétablies du monde et de la vie, préfabriquées, et sans discussions possibles[1]

J’ai développé dès lors une vigilance constante afin de ne pas laisser trahir ma sensibilité de perception. 

Mon humanité. 

J’ai cadenassé la largesse de mon esprit, rétréci ma vision avec les œillères qu’on m’a fournies, bloqué ma capacité à connecter les informations et les connaissances, comme si je voyais à la fois la fresque entière et chaque détail. Je me suis volontairement radicalisée et abrutie. La religion m’y a aidée. J’ai même l’impression qu’elle sert à ça. 





J’ai étouffé mes émotions et ressentis. J’ai fini par croire que ma voix intuitive était une preuve de démence. Je devais la taire à tout prix. 

Cette vigilance m’épuisait. Conséquemment, j’étais une grosse dormeuse. De plus, seule la nuit m’offrait un répit. La nuit, les adultes dorment. Leur monde horrible est moins présent. Je pouvais souffler, rêver à ma guise d’un monde qui me convenait mieux. 

C’est ainsi que j’ai commencé à inventer des histoires et des personnages de manière à me constituer un refuge, d’une part, et d’autre part de manière à exorciser les monstres mécaniques et institutionnels, ces fonctionnements de la société que j’entrevoyais sans encore bien les comprendre et qui me terrorisaient parce que je savais que je devrais les laisser me ployer, me plier, me tordre si je voulais vivre. 

Vivre. 


Ma petite enfance fut rêveuse.


Pour moi, la vie est intense. Elle n’a rien avoir avec la vie civilisée. 

La vie que m’offrait la société, c’était la mort. Une mort de zombie, une mort qui garde les yeux ouverts et le corps mobile comme celui d'un pantin. 

La mort physique, par contre, je l'ai toujours enviée. Cette mort-là était une disparition bienvenue, un sommeil prolongé indéfiniment, une nuit de répit sans fin. Cette mort-là, je la désire encore. Dès mes treize ans, j’étais possédée de « pensées morbides », comme disent les psys. Je contemplais la Meuse, en traversant le pont des Ardennes à pieds quand je revenais de l’école. Mais j’étais frileuse, je ne voulais pas mourir dans l’eau glacée. 

C’est idiot, n’est-ce pas ? J’ai toujours voulu mourir mais pas n’importe comment. Je m'aime suffisamment pour ne pas m'infliger des minutes d'agonie ou une mutilation corporelle même fatale.

Je préférais endurer une vie indigne que m’infliger une mort indigne. 

En attendant, je rêvais beaucoup. Éternelle distraite, vivant entre deux mondes, le réel infernal et absurde et celui, constamment renouvelé, que je créais dans ma tête, j’étais une enfant dans la lune. 

Une enfant de la lune, de la nuit, de l’ombre. 




FLB


[1] J’ai grandi dans la secte américaine des « Mormons », ou « L’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours ». Je vous invite, à ce sujet, à consulter mon autre livre « Rompre avec les croyances ». Vous aurez une idée précise des cadenas mentaux et émotionnels qui y sont mis en place dès l’enfance et qui ont accrus mon malaise, les mensonges imprégnés par conditionnement ainsi que les exigences morales totalement artificielles qui m’étaient imposées. On pourrait croire la situation inédite. Ce n’est pas le cas. À bien des égards, notre société fonctionne de la même manière qu’une secte. Monothéisme et gouvernement au pouvoir centralisé sont des systèmes jumeaux. Quand je me suis libérée de la secte, en réalité, je suis seulement sortie d’une petite cage dans la grande.