Puisque l'écriture est mon médium artistique favori, j'ai conçu ce blog pour partager mes réflexions et expériences car tout, chez moi, est "hyper" : l'activité cérébrale, les émotions, les sens, la perception, l'empathie, l'intuition... Diagnostiquée TDA(H), puis Asperger et HP à l'aube de mes 50 ans, j'explore ces étiquettes et j'exprime mes découvertes et ressentis..

samedi 2 novembre 2019

Enfant de la lune

Un enfance heureuse.... tant qu'on me foutait la paix.



J’ai toujours cru que j’étais folle. Enfin, toujours…. Depuis ma troisième ou quatrième primaire. C’est l’école qui a défini ma différence. 

Avant ça, durant ma petite enfance, tant qu’on me foutait la paix, j’étais heureuse. 

Oui, j’ai une excellente mémoire émotionnelle et sensorielle ; à défaut de me souvenir des noms, des dates et des lieux, je me souviens des ressentis, des sensations. Petite fille ou petit garçon, je ne faisais pas la différence, je folâtrais sans pression ni répression, en pleine découverte, en toute fraîcheur. Cela se voit sur les photos de mon enfance : la béatitude a subsisté jusqu’à ce qu’on me mette en rang dans la cour, jusqu’à ce qu’on me dise de rester assise sur un banc à ingurgiter des données comme une oie en cage au gavage.

Mon visage s’est éteint. 

À l’école, l’identité se forge à coups de bulletin. Ce sont les notes qui décident du présent et de l’avenir. Et de la valeur sociale de l’individu. 

L’impuissance apprise commence là. En tout cas, pour ceux dont le cerveau n’est pas calqué sur les méthodes pondues par les pédagogues des hautes instances éducatives qui s’occupent du formatage des futurs citoyens. Oui, parce que de là-haut, éducation rime avec domestication. C’est toujours comme ça que je l’ai ressenti dans mon enfance. 

Enfance, joie et spontanéité.

J’avais de quoi comparer puisque, passionnée de chevaux depuis toute petite, j’ai très tôt, à chaque congé scolaire et d’un week-end à l’autre, parcouru les centres équestres de ma Wallonie natale. J’ai toujours eu en commun avec les pensionnaires équins, ces êtres magnifiques épris de grands espaces libres, l’obligation de la bride, du mors, et de la soumission à l’exploitant. 

On me disait passionnée par l’équitation et pourtant, monter à cheval dans le contexte des cercles équestres me déchirait le cœur. Tout sonnait faux, dans l’équitation. C’était superficiel. C’était mal. C’était une insulte à l’intelligence des chevaux. 

Malgré tout, le seul accès aux chevaux et au mythe de la liberté qu’ils contenaient passait par le manège et sa galerie d’horreur. 

Différence de valeur basée sur la race, travail répétitif, soumission, méthodologie, traitement défini par la performance, exigence généralisée sans aucune considération pour les particularités individuelles : les chevaux productifs et performants vivent plus ou moins bien, selon une idée anthropomorphique de ce que peut être une vie confortable pour un cheval. Les autres sont battus, brisés, relégués dans les boxes les plus pourris ou au fond des pâtures, ou envoyés à l’abattoir. 

« Comme à l’école », pensais-je déjà. 

Même les chevaux sont obligés de gagner leur vie. Ces êtres magnifiques épris de libertés… Quelle tristesse ! 

Évidemment, enfant, je ne formulais pas ces conclusions ainsi, je les ressentais, c’est tout. Si j’exprimais le malaise, c’était avec maladresse. Mes propos étaient accueillis comme de la sensiblerie, une preuve de mon immaturité et de mon ignorance du monde équestre. 


Le rire, la stupidité et le mépris des adultes abiment irrémédiablement les enfants, les individus en devenir, en élaguant des petits bouts d’estime de soi. 

Ce fut le début de mon autocensure. 
Je n’avais même pas dix ans. 



"Tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort ».

C’était une connerie. 

Du moins dans son acceptation banale et contemporaine. 

Au quotidien, la souffrance n’endurcit pas. 

Elle use. 
Fragilise. 
Affaiblit. 

L’âme humaine n’est pas un cuir qui se tanne avec les épreuves. 
C’est une membrane sensible, vibrante, délicate. 

En cas de choc, elle reste meurtrie, marquée, hantée."

- Le Passager (2011), Jean-Christophe Grangé




Déjà, la pression des résultats et l’impression d’inadéquation subséquente me tordait les tripes au quotidien, en plus de la crainte de l’avenir. Je devrais vraiment vivre dans le monde que me dévoilaient les adultes ? Un monde absurde, dur, cruel, d’une violence extrême, et dénué d’intelligence, me semblait-il. 

J’entendais par intelligence – et j’entends toujours – la faculté intuitive de percevoir ce qui ne se voit pas dans chaque être vivant, entre chaque être vivant, de comprendre l’essence même de la vie sans jugement ni calcul ni agenda. Mais cela me fut toujours renvoyé comme de la sensiblerie et de l’immaturité. 

D’autant plus que j’ai grandi dans un milieu sectaire aux valeurs hypocrites, incohérentes mais fixes, et aux définitions préétablies du monde et de la vie, préfabriquées, et sans discussions possibles[1]

J’ai développé dès lors une vigilance constante afin de ne pas laisser trahir ma sensibilité de perception. 

Mon humanité. 

J’ai cadenassé la largesse de mon esprit, rétréci ma vision avec les œillères qu’on m’a fournies, bloqué ma capacité à connecter les informations et les connaissances, comme si je voyais à la fois la fresque entière et chaque détail. Je me suis volontairement radicalisée et abrutie. La religion m’y a aidée. J’ai même l’impression qu’elle sert à ça. 





J’ai étouffé mes émotions et ressentis. J’ai fini par croire que ma voix intuitive était une preuve de démence. Je devais la taire à tout prix. 

Cette vigilance m’épuisait. Conséquemment, j’étais une grosse dormeuse. De plus, seule la nuit m’offrait un répit. La nuit, les adultes dorment. Leur monde horrible est moins présent. Je pouvais souffler, rêver à ma guise d’un monde qui me convenait mieux. 

C’est ainsi que j’ai commencé à inventer des histoires et des personnages de manière à me constituer un refuge, d’une part, et d’autre part de manière à exorciser les monstres mécaniques et institutionnels, ces fonctionnements de la société que j’entrevoyais sans encore bien les comprendre et qui me terrorisaient parce que je savais que je devrais les laisser me ployer, me plier, me tordre si je voulais vivre. 

Vivre. 


Ma petite enfance fut rêveuse.


Pour moi, la vie est intense. Elle n’a rien avoir avec la vie civilisée. 

La vie que m’offrait la société, c’était la mort. Une mort de zombie, une mort qui garde les yeux ouverts et le corps mobile comme celui d'un pantin. 

La mort physique, par contre, je l'ai toujours enviée. Cette mort-là était une disparition bienvenue, un sommeil prolongé indéfiniment, une nuit de répit sans fin. Cette mort-là, je la désire encore. Dès mes treize ans, j’étais possédée de « pensées morbides », comme disent les psys. Je contemplais la Meuse, en traversant le pont des Ardennes à pieds quand je revenais de l’école. Mais j’étais frileuse, je ne voulais pas mourir dans l’eau glacée. 

C’est idiot, n’est-ce pas ? J’ai toujours voulu mourir mais pas n’importe comment. Je m'aime suffisamment pour ne pas m'infliger des minutes d'agonie ou une mutilation corporelle même fatale.

Je préférais endurer une vie indigne que m’infliger une mort indigne. 

En attendant, je rêvais beaucoup. Éternelle distraite, vivant entre deux mondes, le réel infernal et absurde et celui, constamment renouvelé, que je créais dans ma tête, j’étais une enfant dans la lune. 

Une enfant de la lune, de la nuit, de l’ombre. 




FLB


[1] J’ai grandi dans la secte américaine des « Mormons », ou « L’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours ». Je vous invite, à ce sujet, à consulter mon autre livre « Rompre avec les croyances ». Vous aurez une idée précise des cadenas mentaux et émotionnels qui y sont mis en place dès l’enfance et qui ont accrus mon malaise, les mensonges imprégnés par conditionnement ainsi que les exigences morales totalement artificielles qui m’étaient imposées. On pourrait croire la situation inédite. Ce n’est pas le cas. À bien des égards, notre société fonctionne de la même manière qu’une secte. Monothéisme et gouvernement au pouvoir centralisé sont des systèmes jumeaux. Quand je me suis libérée de la secte, en réalité, je suis seulement sortie d’une petite cage dans la grande.







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