Hypersensibilité : rappel
L'hypersensibilité, en psychologie, est une sensibilité plus haute que la moyenne, provisoirement ou durablement, pouvant être vécue avec difficulté par la personne concernée ou perçue comme «exagérée », voire «extrême », par son entourage.
L'hypersensibilité est un trait de personnalité que l'on retrouve souvent, mais pas exclusivement ni uniformément, chez les personnes reprises sous l'étiquetage pathologique de différents troubles : de l'attention, de l'anxiété, trouble bipolaire, trouble de stress post-traumatique, et à l'intelligence atypique.
Là aussi, la diversité est de mise, car être "hyper" comprend un ensemble de facultés exacerbées de perceptions au-delà des cinq sens. S'y ajoutent, selon les personnalités et les situations, les émotions, l'empathie et l'intuition.
- L'ouïe, la vue, le toucher, le goût, l'odorat, les sens, peuvent chacun - mais pas forcément tous - être "hyper". Une personne hypersensible sera plus facilement irritée par le bruit ambiant ou par certains sons, plus facilement aveuglée par la lumière, dérangée par des goûts ou des odeurs en particulier. Elle peut aussi être moins tactiles qu'une autre personne, ou avoir une bulle personnelle plus épaisse parce que le moindre toucher provoque une sensation augmentée : douleur, impression d'invasion, excitation sexuelle inopinée... De nombreuses personnes hypersensibles ressentent de la douleur lorsqu'on les chatouille, par exemple, ou elles ont l'impression d'étouffer avec un foulard. Un col roulé provoque de l'oppression respiratoire. Perdre l'un des sens (les yeux bandés, les oreilles bouchées) peut conduire à une attaque de panique, de même que certaines attractions que d'autres trouveraient grisantes mais qui sont tout bonnement épouvantables pour une personne hypersensible (c'est pour cela qu'il ne faut jamais forcer un enfant dans une activité physique à sensation ou se moquer de lui parce qu'il ne veut pas y participer). Comprendre ces phénomènes permet de se protéger en évitant certaines situations et d'empêcher une réaction intempestive ou agressive en cas de stimulation sensorielle prononcée ou récurrente.
Les 5 sens, par l'artiste Philippe Abril |
- Les émotions sont également plus ample et plus vives. Il s'agit d'hyperémotivité : colère, tristesse, joie, frustration, sentiment d'injustice, sentiment amoureux...
- L'empathie n'est pas exacerbée chez tous les hypersensibles, mais quand c'est le cas, on parle d'hyperempathie. Alors, les émotions d'autrui sont perçues vivement (et il est parfois difficile de les différencier de notre propre ressenti, comme je l'explique dans un article précédent), et cela renforce la difficulté d'être entouré de monde, dans une foule, ou dans une événement social particulier. les personnes hypersensibles et -empathiques ont besoin de s'isoler souvent pour se recentrer, s’apaiser, et ne sont pas particulièrement sociables, d'autant plus que, dans notre société, on cache nos émotions, on porte des masques en public, et la communication est remplie de tabous. Or, une personne empathique va détecter l'incohérence entre l'apparence, la communication verbale, et le language corporel, le ressenti véritable, et elle en sera déstabilisée, déçue ou meurtrie.
- L'intuition, qui fonctionne également par le ressenti, le non linguistique, peut s'ajouter à la liste des facultés "hyper". Une personne très intuitive va souvent sembler irrationnelle dans ses décisions ou réactions, dans sa façon de comprendre et de solutionner.
Tout cela fait des hypersensibles des "hyperhumains", des humains "trop" incarnés, des humains des sens, du corps et du coeur. Cela aurait de nombreux avantages dans une autre culture, une autre civilisation. Ici et présentement, les hypersensibles sont en opposition avec les normes, les fonctionnements, les mentalités, les procédures, la société et ses institutions, ce qui, dans l'incompréhension de l'entourage comme de la personne envers elle-même, génère de la souffrance, de la stigmatisation, une perte de confiance et d'estime de soi, de l'irascibilité, et puis des troubles, des pathologies et du handicap.
Introduction
Ce n'est pas parce que notre civilisation occidentale s'est forgée sur le stoïcisme latin puis judéo-chrétien, sur l'obsession du rationnel, sur des critères comportementaux qui obligent à refouler ce qui est considéré comme pulsions, à porter des masques, à respecter des faux-semblants et des tabous, que c'est la seule manière valable d'ÊTRE !
Le rationnel, faut-il le préciser, est un terme qui a émergé au 16è siècle. Il signifiait alors "doué de raison", en parlant de l'âme, et a servi à justifier les génocides et l'esclavage de peuples indigènes dont l'âme était animale, donc dénuée de raison. Le "rationnel" permit également de confirmer que la femme, plus intuitive et émotionnelle, dont cerveau est plus petit, est inférieure à l'homme qui, lui, est "doué de raison". Évidemment, quand on réduit tout au cerveau....
Dans un sens secondaire, "rationnel" signifie commode, pratique, fonctionnel (donc dans la norme, qui ne bouleverser rien, utilisable, domesticable).
Aujourd'hui, le rationnel indique un raisonnement logique indépendamment de l'expérience, alors que l'expérience est la base de l'apprentissage !
[source : https://www.cnrtl.fr]
il fut décrété, autant à la période antique qu'à celle dite "des lumières", que la sérénité était indispensable au bon fonctionnement de la société. L'accès à cette sérénité, et conséquemment au bonheur - celui qu'on nous vend comme étant le Graal de l'existence - n'est possible qu'à travers le stoïcisme.
Mais c'est faux !
Depuis que j'ai adopté la méditation - non guidée, le jardinage et la randonnée dans mes habitudes d'hygiène de vie, le stoïcisme a perdu son utilité. La sérénité n'est pas incompatible avec la sensibilité et ses expressions. C'est la conscience de ce que l'on vit et de ce que l'on ressent ajoutée à la conscience de l'autre (empathie), et c'est vivre pleinement par le corps (bouger, s'exprimer corporellement, et en communion le reste du vivant), qui amènent la sérénité, c'est l'intuition doublée de conscience qui permet la juste mesure, même à travers les tempêtes émotionnelles, et non la fermeté, la raison, la discipline, la retenue ou refoulement.
Le modèle de société actuel génère énormément de violence artificielle (majoritairement institutionnelle), due à la déconnexion de soi et des cycles naturels, au sédentarisme (immobilisation, absence de contact avec les éléments naturels), au travail (horaires opposés à la biologie, structure du milieu oppressante), au stress financier (devoir gagner sa vie, consumérisme, classes sociales), etc. Cette violence est intériorisée et extrêmement néfaste, et ses moyens d'expression sont limités. On nous admoneste de rester serein dans un tel environnement. C'est la norme. Et d'atteindre le bonheur, par-dessus le marché !
Les artistes et autres marginaux parviennent parfois à extérioriser les tensions internes (en acceptant la pauvreté et l’exclusion sociale) dues à cette violence de déconnexion et d'institutionnalisation de la vie, mais en majorité, cette violence ressort en agressivité, auquel cas c'est l'individu qui est tenu responsable et/ou coupable, et réprimé.
L'agressivité - extériorisation de la violence (voir cet article ICI) - et ses formes dérivées (radicalisation, phobies, violence domestique) - est un ersatz de "la fuite impossible", quand la civilisation devient une forme d'univers carcéral, un processus de domestication (rendre utilisable), une négation de la vie et de l'énergie que l'on porte en soi.
C'est seulement à l'aube de mes 50 ans, et après maintes recherches, lectures, introspections, analyses, que je comprends comment et pourquoi je fonctionne de la sorte, comment et pourquoi j'en souffre, comment et pourquoi je me suis aussi maladroitement déguisée toute ma vie durant, m'infligeant une violence intérieure qui a fini par se métaboliser en fibromyalgie, en fatigue et dépression chronique.
Hypersensibilité : les quatre réactions à éviter
Ce sont des "phrases qui tuent" à ne plus utiliser envers les personnes sensibles, mais non plus envers soi-même ^^
1. "Tu exagères !", "Tu en fais tout un drame !"
Une personne hypersensible réagira plus promptement, une personne hyperémotive pleurera plus facilement (au cinéma, à l'écoute d'une chanson, lors d'une conversation...). Une personne hyperempathique va trouver méchant ou cruel un acte qui passe pour du jeu, elle ne va pas adhérer au second degré et sera choquée par le cynisme ou le sarcasme. Toutes ces réactions sont légitimes. Il ne s'agit pas de "théâtre", de comédie, de sensiblerie, d'exagération ni d'une volonté d'attirer l'attention ou la sympathie.
Au lieu de mettre l'emphase sur l'ampleur du ressenti ou de son expression inhabituelle ou non conforme aux usage, il convient d'apaiser la personne avec bienveillance. "Oui, je comprends. Excuse-moi, je ne le voyais pas comme ça, je n'avais pas perçu cet aspect des choses... Que proposes-tu ? "
2. "Apprends à gérer tes émotions !"
Il faut arrêter de parler de gestion ! Surtout quand on parle d'êtres vivants.
Il ne s'agit pas d'une entreprise, d'économie, ou de ressources humaines ! (Je ne comprends pas pourquoi ce dernier terme ne choque pas davantage de monde).
La gestion a une connotation économique, mais nous ne sommes pas dans le domaine de la marchandise !
Regardez par exemple un écosystème. Il se débrouille très bien pour équilibrer son apparent foutoir de diversité. Il suffit qu'un humain aie l'idée de vouloir gérer ça pour que tout devienne problématique.
Voila l'idée sous-jacente au mot gestion.
C'est un terme moderne associé au management qui a progressivement remplacé ordonnance, ce dernier mot étant précisément associé à un ordre extérieur ou supérieur à soi-même.
Encore une fois, la gestion va du haut vers le bas (foutue hiérarchie) et de l'extérieur (avec condescendance ou dureté) vers l'intérieur. Or, pour ne pas abîmer, la volonté, la maîtrise et la discipline qui mènent à la mesure doivent surgir de l'intérieur, ce qui implique qu'elle doivent être comprises, conscientes, transcendées.
"Gérer" ses émotions et son ressenti, c'est viser à ne pas déranger l'ordre extérieur, et ce n'est pas sain.
Comprendre, accueillir et exprimer ses émotions et son ressenti avec la mesure appropriée, ça, c'est intéressant ! C'est un mouvement conscient de l'intérieur vers l'extérieur. Cela demande de l'expérience, de la maturité, l'absence de conditionnement (ce qui implique un environnement sûr, une confiance réciproque).
Hélas, plus personne ne supporte l'expression des émotions. Les "gérer" revient à devoir les intérioriser, ce qui n'a rien avoir avec la conscientisation. Nous sommes des êtres vivants et incarnés et pourtant, on nous oblige à ne vivre QUE par notre cerveau, délaissant notre corps et sa multitude de ressentis, et à ne nous exprimer QUE selon une norme établie de manière autoritaire et supérieure.
Les émotions et le ressenti sont des expression de soi et de ce qui se passe. C'est un langage. La mesure de l'expression qui s'accompagne d'empathie vise le respect de l'intégrité de soi et d'autrui, mais les normes restrictives sont tellement étroites qu'il devient impossible d'exprimer ses émotions sans nuire à la bienséance ! D'où l'obligation de gérer...
cette "gestion" provoque un stress d'inhibition extrêmement malsain et nuisible à long terme, surtout que cela est imposé dès l'enfance !
Nous devons nous habituer à accepter, à ne plus craindre ou mépriser cette expression : les larmes et les cris et les pleurs de tristesse, de douleurs, de nostalgie (la nostalgie est un sentiment très fort chez les hypersensibles), de frustration...
Un enfants qui peut les exprimer, et dont les expression sont reçues et considérées sans mépris ni dureté, et surtout qui sont ensuite verbalisées et conscientisées (quand l'âge et le langage le permet), saura bien mieux les mesurer quand il sera adulte !
Le jour où l'on pourra consoler et prendre dans nos bras une personne qui hurle et qui pleure, une personne bouleversée par ce qui nous semble banal, nous vivrons véritablement dans un monde meilleur !
3. "C'est dans ta tête !", "Ce sont des scénarios mentaux"
Comme le disait Professeur Dumbledore : "Ce n'est pas parce que c'est dans ta tête que ce n'est pas réel !"
Dénigrer la réalité du ressenti, c'est une telle violence ! D'autant plus si la personne est sensible !
On parle d'anxiété, ici. Si un stress ou une angoisse s'incruste et commence à nuire à santé, à parasiter les facultés de perception et d'analyse (panique), il faut mieux l'adresser de front : qu'est-ce qui angoisse ? D'où vient ce scénario, par quoi est-il généré ? Comment l'adresser ?
Le scénario est gonflé à partir du réel, il faut retrouver ce point d'origine !
La bienveillance prend du temp, et on n'en a pas beaucoup, c'est vrai : réussir sa vie est une occupation chronophage et égoïste.
Et pourtant, adresser l'anxiété avec bienveillance et non à la va-vite, avec déni ou mépris, c'est fortement réduire son impact négatif !
"La guérison commence
dès que la souffrance est entendue."
- Cheryl Richardson
4. "Adapte-toi !"
Pour ce dernier point, je vous renvoie à cet autre article traitant spécifiquement de l'adaptation ICI
Conclusion
Tant qu'on considérera la sensibilité comme un trouble ou une pathologie, tant qu'on encensera comme modèle de réussite ou de bonheur des gens endurcis, pragmatiques et rationnels, atones, nous ne parviendrons pas à sortir du paradigme actuel.
La raison sans l'expérience est un artifice ! Ainsi, nous devons nous réincarner, renouer avec le corps, avec les sens, et ramener la sensibilité à la surface, au grand jour, à la conscience plus qu'à la raison.
Descendons du mental et remettons le cerveau à sa place d'outil et non de maître. Voilà qui, incidemment, ramènera l'ego à sa juste taille.
Il est temps de cesser de rabrouer les personnes sensibles, de les infantiliser, de leur jeter des phrases assassines, de les forcer dans leurs retranchements, là où ils ne nous agacent plus ! En écoutant leurs "scénarios", on peut entrevoir ce qui cloche vraiment dans notre société, dans nos fonctionnements. En considérant leur sensibilité comme partie intégrante de l'intelligence, nous élargirons le spectre de nos perspectives tout en rejoignant notre humanité.
FLB
bibliographie :
Grossman Évelyne (2017), Éloge de l'hypersensibilité, Éditions de Minuit
Valéry Laurent (2017), L'enfance chez les stoïciens : histoire d'un ratage, https://www.cairn.info/revue-archives-de-philosophie-2017-4-page-677.htm
Alice Miller (2014) Notre corps ne ment jamais, Flammarion ; (2015) C'est pour ton bien, Flammarion ; (1993) La souffrance muette de l'enfant : expression du refoulement dans l'Art et la politique, Aubier
James C. Scott (2018), Homo domesticus, La Découverte
Marshal Sahlins (2009), La nature humaine : invention occidentale, Éditions de l'Éclat
Et pour ceux qui s'intéressent à la gestion et au management :
Yohan Chapoutot (2020), Libre d'obéir, Gallimard
Je découvre votre blog et il me parle beaucoup. Merci pour ce partage ! Corinne
RépondreSupprimerPas mal mais dur a digirer.
RépondreSupprimerJe partage ce malaise face à ces phrases assassines trop souvent entendues et qui m’ont littéralement aliénée. Après un WAIS à 52 ans, j’ai cru comprendre en quoi consistait cette différence qui me faisait voir la vie en TROP. Reconsidérer ma vie à travers ce nouveau prisme m’expliquait les raisons de ce malaise sans pour autant l’apaiser.
RépondreSupprimerLes mots sont venus... de plus en plus de mots, jusqu’à en écrire un roman. C’est une autobiographie fiction pour éviter l’abstrait. C’est dur et tendre à la fois, terrifiant et humoristique. Un peu à l’image de la vie et des grands huits qu’on y prend tous les jours en tant que TROP. Il s’intitule MOTEUR POUR ANGÈLE. (Sur KDP et Amazon). Au cas où...
Vu par hasard sur la page Facebook d une amie, ce texte éclaire quelque peu certains de mes ressentis. Je vais creuser, merci pour la bibliographie.
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