Oui, il faut l'admettre : d'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours eu cette impression d'observer mon entourage depuis l'extérieur, à travers une vitre, de les étudier, presque comme le ferait un anthropologue, tentant de les comprendre, de donner un sens à leur vie, et conséquemment à la mienne, à leur croyances, leurs organisations, leurs institutions, leurs systèmes, leurs codes... De chercher une causalité à la destruction qu'ils semaient, souvent sans s'en rendre compte, une raison au déni qu'ils cultivaient, à leur hypocrisie, à leurs artifices...
À l'adolescence (on m'a relativement foutu la paix durant mon enfance, tout est parti en vrille vers 11 ans), alors que je me rapprochais inéluctablement du monde des adultes, que je craignais, j'ai vécu avec la peur au ventre, sans cesse en alerte, hyper-consciente de tout et surtout de ma différence sans vraiment pouvoir la définir.
J'en ai parlé dans d'autres articles.
La religion (j'y suis née, ce n'était pas un choix) m'a cadrée. C'est le mot. L'idéologie est très pratique pour celui qui se renie, qui désire se cadenasser sans avoir à se comprendre. Le radicalisme est le refuge idéal de ceux qui sont terrorisés par eux-mêmes. Je le sais, j'en étais !
Mais j'en suis sortie, Dieu merci (si j'ose dire ^^).
Depuis, j'apprends à me reconnecter à moi-même, à me déconditionner. J'essaie de ne plus systématiquement m'inhiber, mais le sentiment d'inadéquation demeure, car la normalité, ou plutôt la majorité adaptée, est hermétique, cimentée.
Je dois en outre lutter pour ne pas sombrer dans le mépris. Pas que je me sentes supérieure, non, car j'abhorre toute hiérarchisation et je ne crois plus à une quelconque perfection, ni à l'élitisme, ni à l'autorité, ni au mérite, d'ailleurs. Ma vision des choses est résolument horizontale. Je sais que je ne sais rien, que je connecte au fur et à mesure, que tout est complexe. Je ne me crois pas du tout éminente dans quelque domaine que ce soit. Cependant, j'ai souvent le sentiment d'être le seul adulte dans une cours de récré ! Et cela depuis l'enfance, même alors que je préférais traîner avec les adultes parce que je trouvais les jeunes de mon âge débiles et bruyants.
Ce qui m'effare le plus est l'insensibilité et aveuglement généralisés. On parle des hypersensibles comme s'ils étaient atteints d'un handicap ou d'une faiblesse, mais j'ai plus l'impression que la société est alignée sur une fréquence hyposensible. Bon sang, si seulement ils cessaient de faire du bruit avec leurs machines et leur technologie et leurs divertissements, ils entendraient peut-être la voix de la sagesse, de leur intuition. S'ils pouvaient cesser de s'agiter pour gagner leur vie ou la réussir, chacun pour soi, ils pourraient enfin la vivre ensemble (et je dis "ensemble" en pensant à toutes les espèces). S'ils cessaient de vouloir à tout prix s'adapter à un monde artificiel et faux, ils comprendraient la nature, leur nature. S'ils cessaient de croire, ils verraient enfin la réalité...
Mais je pense que la réalité n'intéresse plus personne. Ils préfèrent croire qu'elle n'existe pas, qu'il n'y a que des perceptions de la réalité.
Mais non, je dramatise, sans doute, je généralise, je fais du sentimentalisme, je manque de logique, je tombe dans le manichéisme, je projette mes traumas, je fais ma "drama queen", je suis négative, etc.
Alors je la boucle. Merde. Débrouillez-vous avec votre bordel, bande d'autruches écervelées, mais ne m'obligez pas à en faire partie !
J'accepte l'étiquette de handicap puisqu'elle me permet de ne pas devoir fonctionner dans ce système pourri soi-disant collectivement consenti.
À force de se frapper le font et de secouer la tête, on devient misanthrope.
Et on commence à établir une ligne de conduite visant à se préserver.
- Éviter les écoles, surtout à l'heure de l'entrée et de la sortie. Dans les articles précédents, vous comprendrez pourquoi.
- Ne se plonger dans les centres urbains et commerciaux que les jours où l'on est suffisamment équipé : la bonne dose d'énergie, les vêtements dans lesquels on se sent bien, le mental préparé, les sens blindés, casque sur les oreilles + lunettes solaires au besoin. Ne JAMAIS se forcer. Car tout est toxique, dans une ville, dans un supermarché : le trafic ; la pollution (y compris la pollution sonore et lumineuse) ; la promiscuité et le surnombre ; la compétition tacite issue de la comparaison, des classes sociales, des modes et du consumérisme ; la proximité des prédateurs·trices de tous poils, produits du capitalisme et/ou du patriarcat, qui se fondent dans la masse ; la mendicité, les sentiments qu'elle instille en moi, la cruelle indifférences des passants, les marques de répressions sociales, etc. enfin, tout ! Alors, il faut prendre l'antidote mental du détachement, accepter de jouer un rôle passe-partout, et prévoir une tactique de repli facile en cas de surcharge sensorielle et émotionnelle.
- Et le week-end, on se planque !
Ah, le week-end... J'ai horreur du week-end. Tout le monde est dehors. Il n'y a plus moyen de se promener sans croiser joggeurs, marcheurs norvégiens, cyclistes, amoureux, promeneurs de chiens, familles... (et il faut se taper les parents, les surprotecteurs, les gueulant, les négligeant, pfff... Mais quelques enfants heureux, aussi, ça c'est chouette !).
Le week-end, c'est le moment du loisir. Chez nous, le loisir est le droit du travailleur.
Le week-end, la nature est réduite à une zone de loisir que les travailleurs en congé se partagent.
Le week-end, il y a les matches de foot, au village. Le vent m'amène malgré lui les cris de ce public. Oui, les adeptes du foot sont des gens très bruyants, ce n'est pas un stéréotype, c'est un fait. Je les évite, les adeptes du foot. L'autre samedi, j'ai eu le malheur de sortir mon chien au moment où le match du coin se terminait. S'est déversée sur les chemins une horde de supporters enivrés d'adrénaline et de bière au point que l'air m'irritait à 50 m de distance. Je me suis enfuie ! je suis retournée m'enfermer chez moi. Dommage, il faisait beau...
Le week-end, on entend les fusils tonner dans le bois du comte. Des meurtres en série ont lieu à trois kilomètres de chez moi, en toute impunité. Les gens dévorent la nature, la bétonnent, ils spéculent, se l'achètent et se la vendent, et puis ils disent qu'ils doivent "réguler" les animaux qui restent dans les lambeaux. Chaque claquement de fusil me tue un peu. Je ressens la terreur, la détresse, l'impuissance des êtres chassés, l'injustice et le mensonge de la "régulation". Le gaspillage de vie et de mort me rend malade. J'encaisse l'arrogance et la bêtise humaine tel un coup de poing dans le ventre à chaque coup de feu.
Le week-end, c'est le chaos. En semaine, j'ai des repères, je peux me faufiler entre les heures de pointe, les horaires des voisins, des écoles et des magasins. Par contre, le week-end est imprévisible. Je peux tomber à tout moment sur une foule de randonneurs, une troupe de scouts, un mariage tonitruant, un essaim de cyclotouristes...
Il y a beaucoup de gens biens et sympas, évidemment, dans le tas, mais les organisations et institutions dans lesquelles ils s'inscrivent me foutent les jetons. En groupes organisés selon les normes de notre civilisation, les humains me terrorisent. C'est le cas depuis l'enfance. Les mouvements de jeunesse m'ont toujours fait flipper. Les réunions, séminaires et formations, messes et autres groupements contiennent trop de fausseté niée, d'émotions refoulées, de hiérarchie nauséabonde, d'activités inutiles, insensées et superficielles souvent obligatoires, de cette violence ordinaire inhérente à tout ce qui est quelque peu institutionnel. En groupe, l'humain devient faux, opaque, difficile à décoder.
Je n'arrive pas à voir quelque chose de positif dans la notion de sport et de loisir. Le travail, lui, notion aussi perverse à mes yeux, ne se voit qu'en semaine, à l'extérieur, et en deux flux : les heures de pointes du matin et du soir. Mais le week-end, le loisir révèle au grand jour et à toute heure l'absurdité de notre société.
Au secours !
Bref, le week-end, je reste enfermée autant que possible.
Ce monde est fou.
Surtout le week-end !
FLB
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